dimanche, novembre 29, 2009

Une pile à lire ou à subir

On parle souvent de ces parisiens qui n’ont jamais admiré leur ville du haut de la tour Eiffel, de ces savoyards n’ayant jamais posé le pied sur un ski, de ces marseillais qui évitent les plages. Trop de facilité, une proximité oppressante, l’égoïsme ordinaire de ne vouloir partager ses trésors avec les nuées méprisables de touristes ou tout simplement l’idée confuse d’avoir le temps pour en profiter demain. Le cliché a probablement la vie dure mais se vérifie trop souvent, on connaît mal l’endroit où l’on vit.
Il me semble que je n’échappe pas à la malédiction. Cela fait plusieurs années que j’ai tissé mon nid sur la toile numérique, mais finalement je connais bien mal Internet. Depuis près de quinze ans que je survole les autoroutes de l’information, à titre personnel ou professionnel, je n’ai jamais pris le temps de m’attarder sur les voies secondaires, de visiter ces innombrables lotissements uniformes de sites préfabriqués où tout un chacun peut raconter sa petite vie au mépris de l’intérêt commun et du bon goût.
Je suis bien mal placé pour jeter une pierre fût-elle virtuelle dans la mare. Dès mes débuts je bricolais déjà un site personnel, « l’antre du cyber Troll », prétexte pour expérimenter les technologies balbutiantes du world wide (wild ?) web. Aujourd’hui encore, j’alimente sporadiquement ce petit espace avec mes élucubrations nostalgiques ou mes revues de lectures inutiles.
De fait, je suis payé pour connaître assez intimement les technologies régissant cette matrice de l’information qui en moins de deux décennies ont dominé nos vies. Et pourtant, j’y découvre encore et toujours des nouveautés. Sous l’emprise de ce paradoxe sucré, j’ai très récemment découvert que les lecteurs acharnés hantaient déjà le net, que des millions de sites personnels évoquaient la littérature et les revues de lectures sont florissantes. Je ne cherche pas à lutter dans cette bataille perdue d’avance, lorsque je vois ces internautes capables d’alimenter quotidiennement leur site avec de nouvelles lectures, des commentaires souvent érudits, pertinents et intéressants. Pour une fois, la jalousie coutumière de mon caractère ne m’a pas chatouillé les neurones de ses acides. Je ne poursuis tout simplement pas le même objectif. Cette tribune intime et publique ne me sert pas à cela. Dans ces lignes je préfère occuper ma plume plutôt que de la laisser mourir d’ennui.
J’ai donc découvert ces commentaires de lecteurs avec intérêt et passion. J’ai pioché dans les multiples forums de nouvelles notions. Notamment celle de P.A.L, il ne s’agit pas d’un système de codage de la vidéo mais plus simplement d’une Pile A Lire. Elle représente la liste des livres qui sommeillent dans les bibliothèques, au pied du lit, sur un coin du bureau attendant d’être déflorés par leur propriétaire.
Je suis bien content d’avoir mis un acronyme sur l’une de mes malédictions. Nommer ses démons, c’est acquérir du pouvoir sur eux, peut-être les vaincre. En effet, ma P.A.L est conséquente. Il y a tous ces livres qui ont suivis mes déménagements car je ne les avais pas lu, et surtout cette maladie compulsive. Lorsque je m’égare dans une librairie avec le but avoué d’acheter ma drogue de cellulose, je ressorts systématiquement avec deux fois plus de livres que prévu. Mes livres s’empilent, prennent la poussière et disparaissent de ma mémoire. Lors des rares rangements de bibliothèque je les redécouvre avec surprise, frustration et un peu de honte. C’est ainsi que dans la modeste collection de 400 titres que j’ai constituée dans mes contrées alpines, j’en dénombre plus d’une cinquantaine que je n’ai jamais ouvert.
Plutôt que de racheter, je me suis contraint à réduire un peu cette pile et c’est l’objet de ma revue du jour.

Le premier livre que j’ai exhumé de mes rayonnages est un grand classique acquis durant mes années collège. L’âge bête m’avait contraint à subir plutôt que d’apprécier ces perles comme le père Goriot ou Eugénie Grandet. Lorsque j’avais découvert l’histoire de Balzac, son penchant pour l’occultisme et ses talents de précurseur dans le fantastique, j’avais remis le couvert en achetant L’envers de l’histoire contemporaine, sur la base de son titre prometteur. Ne découvrant aucune trace d’ésotérisme ou de fantastique, j’avais bien vite refermé et oublié l’ouvrage.
Jusqu’à ce que je redécouvre le titre en classant ma bibliothèque. Devenu adulte, cette fois passionné par les histoires de complot, de cette réalité trompeuse qui n’est qu’une façade pour les activités occultes des maîtres secrets du monde, j’ai une fois de plus accroché sur le titre. J’ai été moins déçu. Le principe est fabuleux et résolument moderne. On découvre bien une conspiration, mais au contraire du postulat de la plupart des théories du complot paranoïaques, l’élite agissante œuvre pour améliorer la vie de ses concitoyens. On découvre au fil des pages l’histoire tourmentée et saisissante des différents protagonistes de cette société secrète. Chaque histoire résonne comme un hommage de l’auteur envers ses œuvres passées. Malgré mon ignorance crasse de la comédie humaine, j’avoue avoir été ébloui par ce point d’orgue. Le roman accuse malheureusement l’âge et la perte du feu sacré du démiurge qui habitait auparavant l’auteur. Le personnage principal est palot et manque de consistance, parfois ses détours de conscience perdent le lecteur dans le désert de l’ennui. Quand a l’intrigue, sa localisation dans l’espace et dans le temps est inconstante et brouillonne, l’auteur se contredit au fil des pages et déroute son auditoire. Bref, le roman apparaît comme un brouillon bâclé plutôt que l’épilogue étincelant d’une œuvre immortelle.
Malgré tout, je ne regrette pas d’avoir retrouvé un peu du talent incontestable d’un maître et l’envie de redécouvrir ses chefs d’œuvre.

Pour ne pas perdre l’ambiance, le deuxième livre que j’ai lu avec la louable idée de diminuer ma pile de lecture se situait dans la même époque. Avec l’espoir de rallumer la flamme du merveilleux, j’ai abordé les Contes fantastiques d’un contemporain et ami de Balzac, le célèbre Théophile Gautier.
Pouah !
Bien mal m’en a pris. La lecture fût une épreuve difficile, à la façon des coureurs d’endurance, c’est l’obstination et le caractère qui m’ont permis d’en venir à bout. Depuis j’éprouve un profond mépris pour ce monsieur Gautier ayant gagné on de sait comment les galons de la postérité. Car si le livre ne mérite pas d’avoir survécu aux siècles, surtout dans ses pages c’est la médiocrité du romancier qui transparaît. J’essaie de ne pas trop m’abaisser pas à cracher trop mon venin sur ce personnage, il ne mérite qu’une indifférence glacée en espérant que l’histoire finira par oublier son nom. Mais c’est très difficile alors me voilà à dire quelques mots pour avertir le lecteur imprudent de ne pas tenter l’expérience.
C’est donc un recueil de nouvelles, la plupart fantastiques, de ce point de vue le titre du livre ne trompe pas. Par contre, j’ai eu beau m’acharner à les lire, je n’en trouve pas une seule pour rattraper l’ensemble. Il faut dire que le thème a de quoi rebuter celui qui recherche le fantastique et le merveilleux, ce sont toutes des histoires d’amour. Je ne suis pas fan du genre, mais passons. L’amour est décrit dans ce qu’il a de plus niais, de plus naïf ou de plus mièvre. Ici, un jeune homme qui meurt car son aimée ne veux pas de lui, là, la reine Cléopâtre est dépeinte comme une midinette en manque de sexe. La plupart du temps, l’intrigue se résumerait en une poignée de lignes, mais le maudit Téophile enchaîne le lecteur aux pages en lui refusant la libération du mot « fin ». Et voui, parce que l’ami Théo, il aime les descriptions, les pages de descriptions, les kilos de description. Il faut dire que le bougre a visiblement de la culture mais qu’il possède également le mauvais goût de l’étaler avec une pédanterie insupportable.
Aller hop, je vais essayer d’oublier ce mauvais goût que je garde en bouche. Je vais certainement mettre le livre au feu, ça lui donnera enfin un intérêt.

Pour conclure après cette expérience de la pile à lire, j’observerais que si certains livres sont restés non lus, c’est peut être aussi pour de bonnes raisons.

dimanche, novembre 22, 2009

Un oiseau et des oies sauvages...

Le sourire d’un grand père bienveillant, la générosité de son ventre rebondi et la douceur de sa barbe couleur de neige ont guidé notre enfance. Un manteau rouge fantasmé par les vendeurs de limonades et une vérité universelle qui transcende les religions et les peuples. Le monde mesquin des adultes dénonce le complot, l’imposture, une conspiration du marketing. Et pourtant, chaque année voit l’espoir des garçons et des filles se gonfler alors que le mois de décembre avance, jusqu’à cette nuit magique. Chaque année voit le petit matin apporter ses surprises sous le sapin. Cette magie qui brille dans le sourire des enfants. Pourquoi chercher ailleurs une preuve qui se trouve sous nos yeux, le père noël existe.
En dehors des enfants, seuls certains poètes troubadour savent deviner cette réalité que le cœur froid de l’âge d’homme repousse dans les confins d’une imagination vaincue. Romain Sardou en fait partie et son conte pour Sauver Noël réussit à illuminer la flamme du souvenir. Lorsque la réalité devient trop déprimante et que le quotidien perd ses couleurs, lire un tel livre rafraîchit l’esprit et réveille les réminiscences de l’enfance.

C’est une histoire toute simple qui baigne dans le fantastique et le merveilleux. On y retrouve l’esprit de Dickens et l’Angleterre de la reine Victoria. Au plein cœur de l’hiver, le mystérieux baron Ahriman vient emménager au cœur de la capitale. La gouvernante de la maison voisine, Gloria Pickwick découvre alors un complot pour que noël n’ait pas lieu. Et le matin du 25 décembre ne voit aucun cadeau sous le sapin, tandis que le voisin diabolique célèbre sa victoire.

L’histoire est rythmée, bien écrite et se lit d’une traite. On peut juste regretter que parfois l’écrivain en fasse trop et tirant par les cheveux des situations qui n’avaient rien demandé à personne. Mais dans un conte, ça passe. En résumé ce petit livre sans prétention meublera agréablement un voyage en train durant le mois de décembre pour ranimer le fameux esprit de noël.

jeudi, novembre 12, 2009

Un oiseau fondu dans la masse...

L'humanité ne serait-elle qu'un vaste troupeau, que des bergers cupides orientent à leur guise ? Voilà le propos de Ionesco avec sa pièce Rhinocéros, le thème de l'individu qui disparaît pour se fondre dans le moule de la normalité.
Voir passer un rhinocéros, fut-il africain ou asiatique dans un petit village français n'est certes pas "normal". Mais alors, si tout le monde se transformait en rhinocéros, la bienséance voudrait que l'on suive l'exemple, chacun justifiant son choix selon sa perception étriquée du monde. A la fin, l'original serait alors l'humain au milieu des bêtes sauvages.
Avec ces trois lignes, je pense avoir résumé assez fidèlement l'histoire. Postulat absurde, raisonnement absurde, théâtre absurde, sainte trinité qui gouverne la pièce.
Les interprétations habituelles y trouvent un chef d'œuvre, la dénonciation des régimes totalitaires où des comportements humain de collaboration brutalement illustrés par la seconde guerre mondiale. Quand à moi, je lâche prise et je baille.
Sous sa forme écrite, le théâtre fait l'économie de la description pour se concentrer dans le dialogue, exercice de style difficile et peu valorisant. Du coup le talent de l'écrivain disparaît derrière celui du metteur en scène ou celui des acteurs seuls capables d'habiller dignement des conversations. Et bien je peux affirmer que c'est encore pire pour le théâtre absurde. Les réflexions deviennent incohérentes, et les échanges pénibles.
Je pense sincèrement que Rhinocéros est une bonne pièce mais je suis persuadé qu'il faut impérativement la voir avant de la lire. Ne serait-ce que pour vivre tout ces moments de silence et ces intonations donnant parfois au surréaliste un ton comique.

Quand au fond de commerce de la pièce, que j'interprète comme une analyse de la normalité. Génie ou pas, je ne suis pas convaincu. Pas plus que la ritournelle éducative servie par des donneurs de leçon borné lorsque leur progéniture suit les autres enfants dans leurs bêtises collectives: Si tout le monde se jetait dans un puis, est-ce que tu ferais pareil ?
Peut-être que oui, peut-être que non. A vrai dire si la question est simpliste, la réponse est potentiellement intéressante. Sauf le propos de Ionesco ne semble pas vraiment plonger sous la superficialité des raisonnements communs.

mardi, novembre 10, 2009

Noyé dans l’océan mer


Perdu dans les brumes d’un amour disparu, le poète parlait d’une terre bleue comme une orange. Non, je ne souhaite pas commenter de ma voix maladroite le génie des images de Paul Eluard. Je serais plus trivial en m’attardant sur la couleur qui donne sa beauté et ses mystères à notre petite planète. Le bleu que peuvent contempler nos cousins martiens est dû à nos déserts marins, cet Océan mer qui justifie le roman éponyme de Alessandro Baricco.
C’est un livre étrange au premier abord. Comme la mer, il se mérite et s’apprivoise. Le premier contact est houleux. L’écriture suit une lente ondulation et les expressions se répètent inlassablement. Sur la crête des vagues, la richesse du style et le goût râpeux du sel donnent la nausée. On croit qu’on n’en sortira jamais et on regrette d’avoir acheté un billet. Puis finalement on s’habitue et on commence à comprendre.

On commence à comprendre la folie de réunir ces personnages dans la pension Almayer. Entre ce peintre cherchant à saisir le portrait de la mer, ne traçant sur la toile que des lignes invisibles d’eau salée, cette petite fille trop sensible que la moindre émotion risque de tuer, ce scientifique naturaliste collectionnant les lettres d’amour pour la femme de sa vie en attendant de la rencontrer et tant d’autres portraits de personnages improbables que seule la perfection du hasard ou la volonté du démiurge peut réunir le temps d’un roman.

On commence à comprendre que derrière cette poésie rimant la fantaisie la réalité revient à la vitesse d’un cheval au galop. L’histoire avec un grand H de ce bateau échoué au large de la Mauritanie, la tragédie d’un radeau symbole du désespoir et de la déchéance immortalisé par Géricault. Contrepoint du chef d’œuvre pictural, le roman gratte couche après couche le drame dans sa crudité la plus absolue.

On commence à comprendre que le personnage principal de l’histoire ne se cache pas derrière les portraits improbables des protagonistes, que ce n’est pas le drame de la méduse, ni même la mystérieuse pension Almayer ou l’inconnu dans la septième chambre. Non le véritable personnage du roman, c’est l’Océan mer du titre.

La dernière page tournée, on se sent de nouveau mal à l’aise, une vague de nostalgie venue de nulle part nous emporte. Mystérieusement atteint par le mal des marins de retour sur la terre ferme, on rêvasse à la beauté du verbe à la saveur des mots au goût salé du style persistant dans la gorge.

A feuilleter à nouveau livre trois mois plus tard je constate que la magie est toujours là et contrairement à mes habitudes je ne résiste pas à conclure sur un extrait.
Et à présent qu’il est parti, il n’y a plus assez de temps. L’obscurité suspend tout. Il n’y a rien qui puisse dans l’obscurité devenir vrai.