J'étais arrivé la veille dans l'un des grands campings adossé à la dune du Pyla. L'incurable romantique avait alors pris le dessus sur le volant passionné. A la perspective réjouissante d'un premier vol face au soleil couchant j'avais finalement renoncé. A la place, la main dans la main de ma belle nous nous régalions du spectacle de l'astre rougeoyant s'abîmant dans les flots. Je dois cependant confesser une certaine frustration renforcée par le spectacle des quelques voiles encore à jouer dans ce magnifique crépuscule. Pincée de frustration que je consolais comme je pouvais avec l'idée que je gagnais des points pour le lendemain.
Ce fameux lendemain a finit par venir, mais il a pris son temps le bougre. Première chose à faire au saut du lit, un petit footing matinal. Pour conserver la forme ? Bien sûr que non, plutôt pour aller évaluer les conditions sur la dune. Le ciel est bleu, le soleil brille, mais cette satanée brise persiste à souffler de la terre. Tant pis pour la session du matin, remplacée par la détestable corvée des courses.
Hop, hop, donc il s'agit de faire les courses. Pfiouu, il est loin et introuvable ce fichu supermarché. Samedi matin, je découvre avec joie que je ne suis pas le seul à avoir l'idée et nous sommes nombreux à nous agglutiner aux caisses. Au retour, la signalisation nous joue des tours (m'est avis qu'ils ont mis des panneaux juste pour faire des blagues aux touristes) et ça retarde considérablement notre arrivée au camping.
C'est bon, c'est bon, maintenant on part voler ?
Arf non, il faut aussi faire à manger. Pfff, mais j'ai pas faim moi, j'ai plutôt hâte de manger du sable.
Il est déjà 14h lorsque nous arrivons enfin sur la dune, mais la récompense est là. Le soleil brille toujours dans le ciel bleu azur, mais la brise vient maintenant de la mer (avec une petite tendance nord, mais rien de dramatique). Le vent est soutenu mais régulier et laminaire, dans les 25km/h. C'est impeccable pour commencer à s’amuser. D'ailleurs des dizaines de voiles sont étalées à faire bronzette sur le sable, à danser dans le vent, à jouer quelques dizaines de mètres au dessus du sol. Ça se confirme, l'eldorado des parapentistes est bien là.
Le temps de déballer et de démêler tout le bazar, me voilà enfin prêt. Mes baskets me gênent pour évoluer dans le sable, je les abandonne bien vite pour me retrouver pieds nus. Un régal dans ce sable fin, doux et tiède.
Un premier prégonflage, la voile est impeccable. Allez-hop, il est maintenant temps de la monter au dessus de la tête. Mais cette coquine s'est mise à bouder, elle ne veut pas monter. Contrariante, il me faut faire un effort assez physique pour la lever, mais passé le premier tiers de sa course elle s'arrête net, comme bloquée par une main invisible. Je suis donc obligé de trottiner derrière elle, car c'est qu'elle me tire la bougresse. Enfin invariablement, après m'avoir fait courir elle se penche d'un côté (ou de l'autre, ça dépendait de son humeur apparemment), et je n'arrivais pas malgré tous mes efforts (des sprints digne d’un ben jonhson bien chargé) à me recentrer.
Au bout d'une heure de lutte acharnée remplie de séances de kite-surf improvisées (que les esprits chagrins pourrait qualifier de tractage à plat dans le sable) me voilà arrivé de l'autre côté de la dune, au début de la forêt. Alors que je commence à prendre ma voile en bouchon je réalise enfin que je suis un imbécile de la plus belle espèce (on pourrait même dire que je suis un crétin des alpes). Ma brave petite mojo aussi voulait aussi goûter ce sable fin, doux et tiède. Elle en a même fait une indigestion. Du coup, ma voile en bouchon doit bien peser ses vingt kilos, tu m'étonnes que ça monte pas (ça doit donc faire ça d'avoir une apco). J'avais bien remarqué ces petites poches sombres sur le bord de fuite, mais j'étais loin de m'imaginer que c'était aussi lourd.
Premier commandement du Pyla. Le sable c'est bien, mais c'est lourd. Quand la voile à refuser de monter s'obstinera, tes caissons tu videras.
Quelle galère !!! Sitôt une première moitié de l'aile débarrassée du sable, voilà que le coquin s'est faufilé en douce dans l'autre moitié. Et avec tout ce vent, ça n'aide pas.
Le vent justement qui s’est décidé à donner de la voix, maintenant il n’est plus soutenu mais carrément fort. Je sors alors mon petit anémomètre qui confirme mes craintes, en m’indiquant 30km/h régulier avec des petites pointes à 34km/h. Le calcul est vite fait, étant donné que ma voile avance dans les 35 km/h, c’est trop fort pour moi. J’abandonne alors le désensablage de ma voile et je me pose tranquillement pour profiter du soleil et observer. Les autres voiles ne sont apparemment pas trop perturbées par la force de la brise. Poussé un peu par ma douce, elle aussi contrariée de me voir me morfondre sur le sable, je me mets enfin réfléchir. Au bout d’une heure la situation n’a pas empiré et la brise ne forcit visiblement plus. Normalement en face de moi je vois la met et l’écume des vagues devrait m’avertir à temps que la situation devient scabreuse. Enfin, je suis au dessus du ptv et bien chargée la mojo devrait bien avancer. Et le vent est si régulier que je ne devrais pas avoir de mauvaises surprises.
Allez hop, c’est reparti. Il est temps de se dépasser un peu. Je termine de vider ma voile, et je m’accroche. J’oublie mes appréhensions pour me concentrer au maximum. Normalement, je peux le faire. « Juste-fait-le » comme diraient les petits chinois occupés à s’esquinter les yeux à coudre des chaussures de sport pour des occidentaux qui résument le sport à une binouze avachis devant le spectacle abrutissant d’une dizaine de starlettes occupés à jouer à la baballe. Enfin bref, je m’égare. C’est parti pour une nouvelle tentative.
Je lève doucement les avants en faisant bien attention de ne pas les tirer, j’avance de quelques pas et la magie opère alors que je réceptionne aux freins la brave petite mojo au dessus de ma tête. Finalement ce n’est pas si difficile de gonfler par vent fort. Et une fois bien calée au zenith, la belle s’est assagie, c’est un régal à contrôler dans ce vent laminaire.
Allez hop, je me retourne, quelques pas et me voilà en l’air. C’est magique. Visiblement ça tient sur la gauche, mais je n’ose pas y aller. Il y a trop de monde à mon goût et la proximité de la forêt m’impressionne un peu, surtout avec la force du vent. Je joue donc au devant d’une petite butte ou le dynamique n’est pas suffisamment fort pour me permettre de rester en l’air bien longtemps. Un bon petit vol de cinq minutes quand même, avec un atterrissage tout en douceur sur le sable tiède. Hop, je suis posé mais ce n’est pas fini, ma brave petite mojo se régale en l’air. Je la laisse donc au dessus de la tête, et j’en profite pour la faire travailler un peu. C’est beaucoup moins fatiguant de faire du dénivelé avec une voile qui me prend à moitié en charge. En moins d’une dizaine de minutes, j’avale les 100 mètres qui me séparent du sommet et j’essaie de décoller. Là, ça se révèle moins concluant, déjà je peine à avancer dans le vent, d’autre part, l’ascendance n’est visiblement pas assez forte pour compenser la pente. Ma redescente de la dune se limite donc à une succession de sauts de puces. Mais quel bonheur de décoller, d’avancer de quelques mètres puis de reposer en douceur pour rechercher à pieds la nouvelle petite rupture de pente sans que jamais la voile ne touche le sol.
Deuxième commandement du Pyla. Les pentes douces c'est bien, mais pas forcément pour s'envoler. Quand à décoller tu galèreras, plus de pente tu chercheras.
Je passe donc un certain temps à jouer avec ma voile, la moitié du temps en l’air, l’autre moitié au sol à explorer les recoins sableux de la dune. Mais finalement, je reviens à mon point de départ qui présente une bonne petite pente pour prendre son envol. Même tracté par la voile, c’est fatiguant quand même. Alors de temps en temps, je couche la brave petite mojo dans le sable pour qu’elle se repose aussi.
Après quelque minutes de repos, me voilà repartis, sur du plat à avancer vers la rupture de pente. Et ben, c’est pas facile avec tout ce vent. Je m’aperçois alors qu’en position de chargement de la ventrale, je garde toujours un peu de freins, le fameux point de contact. Cette petite pression suffit à me ralentir la voile pour que je n’arrive pas à avancer. A la dune quand le vent souffle, il y a vraiment intérêt à remonter les mains aux poulies. Ce qui n’est pas évident du tout (déjà morphologiquement, je trouve la position assez inconfortable, ensuite mains aux poulies on sent nettement moins l’aérologie). Un local en train de voir mes petits ennuis, tranquillement assis à siroter sa bière vient me proposer son aide. Que j’accepte volontiers (parce que ça crève de marcher à contre courant). Il choppe alors ma ventrale et m’entraine vers la cassure. Il fait à peine quelques pas que me voilà en l’air. Au moment où il me lâche, je peux enfin m’asseoir dans ma sellette et remonter les mains pour avancer un peu. Ce petit vol se terminera tout en bas de la dune sur la plage, à quelques mètres de la mer.
Deuxième commandement du Pyla. Le vent c’est bien, mais point trop n’en faut. Lorsque à avancer tu peineras, de relever les mains tu te rappelleras.
Enfin bon ce petit jeu continue pendant des heures, jusqu’à ce qu’épuisé mais ravi (et passablement en sueur) je me pose enfin aux côté de ma douce (nan j’parle pas de ma mojo, mais du fninh, et faut pas que je confonde parce qu’elles sont sacrément jalouses l’une de l’autre).
Mais le fninh se lasse de faire bronzette dans le sable et se propose de faire un tour jusqu’à la plage. Moi je suis claqué, je décline pour dire que je fais un dernier essai et basta. Je repasse donc un certain temps à vider ma voile. Je suis jaloux devant tous les pros qui d’un geste élégant font descendre leur voile sur le bords d’attaque, tirent les freins pour évacuer le sable et puis enfin la remette en l’air.
Mes essais sont pitoyables, faire tomber l’aile sur le bord d’attaque je maitrise. J’ai bien appris (quoique involontairement) à faire lors des mes débuts de gonflage face (j’avais un peu oublié, mais ça reviens vite). Vider le sable en tirant les commandes ça va aussi. Par contre c’est au moment de retourner la voile en l’air que ça se gâte. Pour ma part, je persiste à poser une demi-aile par terre qui dans le mouvement écope d’une bonne quantité de sable. J’abandonne donc en reprenant la pénible manœuvre manuelle.
Allez hop, c’est mieux, donc je me réinstalle pour un dernier petit vol. Fait trop chaud, je suis donc torse nu et voilà que je lève la petite mojo. En l’air elle est impeccable, j’avance donc de quelques pas pour rejoindre la petite butte, je me retourne juste avant la rupture de pente, je charge la ventrale et me voilà en l’air. Sans efforts. Bon c’est pas tout, mais avec l’assurance je part vers la gauche, en direction de la petite forêt de pins. D’autant plus impressionnante que les premières rangées d’arbres ont littéralement été décapitées. Mais je persiste à longer l’étroite bande de sable entre la mer et ce champ de pieux destiné à écarteler le parapentiste imprudent. Finalement l’audace ça paye et maintenant je commence à monter. Petit à petit je grappille mètres après mètres au beau milieu des autres voiles. Pour me retrouver confortablement au dessus de la meute, une centaine de mètres au dessus de la forêt. Je suis le roi du monde, ici et maintenant.
Dernier commandement du Pyla. Le sable c’est bon mangez-en. A la dune, tu retourneras.
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