vendredi, octobre 15, 2010

Un oiseau frigorifié…

Il est des côtes déchiquetées que le géographe reporte consciencieusement sur sa mappemonde mais que pour rien au monde il ne souhaiterait visiter. Grâce à l’Internet et aux satellites le géographe moderne peut mesurer l’arctique sans quitter son douillet bureau parisien.
A première vue, cette critique partage avec les étendues glacées du grand nord un point commun, une blancheur immaculée. Mais, tout comme l’été fait fondre les neiges que l’on croyait éternelles, l’imagination permet de vaincre l’angoisse de cette page trop blanche. Voilà que les premiers mots apparaissent, que la route familière se révèle. Un exercice de style pour introduire un travail de mercenaire de la critique. En guise de hors d’œuvre cette mise en abyme du livre que je m’apprête à commenter, une ballade Au nord du monde, brillamment contée par Marcel Théroux.
Pris une fois de plus dans les filets de la « masse critique », j’ai troqué une autre partie de mon âme, bradant ces quelques lignes en échange d’un livre gratuit. Au moins me voilà tenu par un contrat, un coup de pied pour sortir de ma léthargie et retrouver les touches poussiéreuses de mon clavier.

C’est au final un petit roman que celui que j’ai reçu. Présenté comme une chose toute simple, sans prétentions, pas un joyau littéraire ni de grandes réflexions sur la condition humaine. Juste une petite histoire, et pourtant…
… pourtant le romancier, en véritable alchimiste, a su transformer des taches d’encre inanimées en personnages bien vivants dans ma tête. Depuis, Makepeace Hetfield, la narratrice solitaire ne me quitte plus.
Une véritable héroïne de papier, paradoxe ambulant qui déteste lire mais vénère les livres. Il faut dire que le monde dans lequel vit Makepeace ne laisse guère de place à l’oisiveté des choses écrites. En Sibérie l’enfer vous brûle comme la glace et le froid, près de dix mois par an. Dans ce grand nord on ne regarde pas son prochain comme une promesse d’espoir mais comme une cible qu’il s’agit de garder dans son viseur.
Le monde de Makepeace, a vu la civilisation s’effondrer. Les derniers restants ou devrais-je parler de rebuts de l’humanité semblent s’être réfugiés dans le grand nord et luttent pour survivre. Entre la violence du climat et la violence des hommes, l’espoir semble condamné.
Notre narratrice aura passé des années à tenter de faire régner l’ordre en tant que sheriff, pour finalement se retrouver face aux fantômes, seuls habitants des ruines de son village. Pourtant, les parents de Makepeace étaient venus dans le grand nord en quête du paradis.
Toute une génération, usée par les pièges de la civilisation, partis en masse tels des colons modernes dans le nord de la Sibérie. Ils espéraient renouer avec la vérité d’un retour aux sources. Je ne gâcherais pas ta surprise, oh toi lecteur potentiel...
… globalement, on peut dire que ça s’est trèès mal passé, que le monde s’est effondré autour d’eau. Ce roman ne raconte pas la chute de la civilisation, mais simplement le destin d’un personnage, désabusé par la traversée de l’horreur. La fillette ayant grandi dans le simple et le rustique se mettra à rêver par la promesse de la vie moderne et de la technologie, rêvant de ce monde perdu qu’elle ne connaitra jamais.

Jusqu’au jour ou sur le point de sombrer dans le désespoir, elle verra un avion traverser le ciel. Un avion, symbole de la modernité, véritable étoile filante pour guider ses pas vers un monde meilleur. Ce point de vue original inverse le consensus d’une nostalgie passéiste. Au poète qui rêvait d’un « Là bas, où tout est neuf et tout est sauvage, libre continent sans grillage. » Makepeace lui répondrait que « Y'a des tempêtes et des naufrages. La glace, les diables et les mirages » qu’elle connait et que franchement ça ne vaux pas le coup.
Je me répète, mais j’ai vraiment adoré le personnage principal, son mental de survivante et ça façon de se livrer à cœur ouvert sur son monde et ses sentiments.
« Etrange, à quel point l’homme n’est jamais plus cruel que quand il se bat pour une idée. On se tue depuis Caïn pour savoir qui est le plus proche de Dieu. »
L’autre particularité fascinante de ce livre réside dans sa construction. La narratrice raconte sa vie « Au nord du monde » dans son journal intime, elle vit des moments intenses, pour la plupart atroces, trop difficiles pour être détaillés dans l’instant. Puis, à mesure que d’autres horreurs plus récentes se produisent, elle livre petit à petit son passé.
Ce roman, fût pour moi une surprise, j’avais laissé le hasard de la masse critique choisir pour moi. Une délicieuse surprise, telle une crème glacée dont le parfum persiste longtemps dans le palais.

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