Les garçons naissent dans les choux et les filles dans les roses affirme l’idiome populaire, comme pour jeter un voile rassurant sur les douleurs de l’enfantement. Le premier livre, du sulfureux Murakami Ryû s’intitule Les bébés de la consigne automatique.
Ils ont ça de pratique au Japon, des consignes automatiques comme on peut en trouver dans les gares par chez nous. C’est bien utile pour laisser les affaires dont on ne souhaite pas s’encombrer. C’est ainsi que de jeunes mères désorientées par une responsabilité vagissante décident parfois d’abandonner leur progéniture dans le destin funeste d’un casier métallique.
Quelques uns s’évadent à force de pleurs et de cris, alertant un employé ou un client de passage. C’est ainsi que les deux protagonistes de l’histoire découvrent un monde hostile.
Le roman suivra leurs errances de l’orphelinat à leur famille d’accueil jusqu’à leur confrontation avec le réel qu’ils rejetteront avec violence. Je n’en dévoilerais pas sur le destin hors normes de ces enfants abandonnés dans une consigne automatique.
Le roman est riche, les nombreux portraits des personnages secondaires lui donnent une assise indéniable. L’action s’enlise parfois dans le glauque, le sexe, la violence ou le trash, sans pour autant attiser l’instinct reptilien et voyeuriste du lecteur. Et c’est dommage, car on observe la mort, la douleur et les drames sans jamais entrer dans le livre. En fait c’est principalement le style d’écriture qui m’a chagriné. Au mieux on pourrait le qualifier de fouillis. L’auteur s’amuse d’un paragraphe sur l’autre à changer de narrateur et de point de vue. Parfois il débute même la biographie d’un personnage secondaire. Et le fil conducteur est parfois si ténu qu’on ne le trouve pas.
En bref, c’était pour moi une découverte de la littérature contemporaine japonaise. Je ne regrette pas, mais ça ne m’a pas vraiment donné envie d’en connaître plus.
Pour ma deuxième critique, ce sera plus léger. La fontaine dont je ne devais plus boire de l’eau, m’est tombée sur le coin de la tronche. Je croyais avoir fait le tour de Terry Pratchett et de ses absurdes mais géniales annales du disque monde. Et par le hasard d’un géniteur qui me laisse à lire ses trouvailles, me voilà pendu aux pages du formidable conteur pour suivre les aventures du fabuleux Maurice et de ses rongeurs savants. Je me croyais immunisé à l’humour loufoque de l’Anglais, mais les ressortissants de la perfide Albion sont sournois. Flairant le fromage, j’ai commencé quelques pages et voilà que le piège s’abat sur moi. Je suis pris par le livre. Impossible de le refermer avant d’en terminer la lecture, quelle sensation délicieuse.
Il est toujours difficile de résumer ce genre d’ouvrage. Le lecteur se noie dans l’enchaînement effréné des situations, la maîtrise du langage et l’inventivité du conte. On sort de la lecture comme d’un long voyage en train, un peu groggy face au monde réel qui a continué de tourner sans nous.
Bien entendu c’est l’histoire de Maurice, qui est un chat fabuleux, pour la simple raison qu’il le dit lui-même. Alors Maurice n’est pas seulement fabuleux c’est aussi un escrocs. Rendu intelligent par les hasards des déchets hautement magiques de l’université du disque monde, il s’est allié à une bande de rats ayant subi le même sort. Le plan est simple, ils ont recruté un jeune musicien sur le bord d’une route et avec lui ils vont de village en village. Les rats envahissent les maisons et répandent la panique. L’arrivée du jeune joueur de flûte est alors providentielle, ce gamin capable de charmer les hordes de vermine et de les entraîner hors de la ville.
Jusqu’au jour ou la petite troupe arrive dans un village un peu spécial, ou des rats sont déjà installés. Des rats qui pillent les réserves de nourriture. Sauf qu’à première vue, aucune trace de ces rats. Maurice et ses camarades sont tombés sur un os. Alors entre la fille du potentat local qui essaie de transformer la réalité pour retrouver vivre des aventures dignes des contes de fées et les chasseurs de rats pas tibulaires mais en tout cas furieusement malveillants, un grand chaos s’installe.
Enfin bref, une chouette histoire à lire. Comme souvent avec Pratchett, la trame narrative devient plus laborieuse à partir du deuxième tiers du livre. Les délires mystiques s’immiscent dans le texte et l’effet de surprise du burlesque s’atténue. Pour ne pas dévoiler la fin, je dirais que ça se termine par un classique ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants.
Quel bon vent amène donc ma dernière critique. Le vent doux qui caresse les blés, le vent âpre qui dessine les mers de dunes ou le vent furieux qui fait paître ses blancs moutons au sommet des vagues ? C’est plus probablement un vent poète et mystique qui a dicté à Alain Damasio sa horde du contrevent.
C’est une œuvre étrange et inclassable que les esprits simples des librairies de consommation ont classé avec la science fiction faute de mieux.
C’est sûr que dans les rayons poussiéreux de la philosophie, coincé entre Confucius et Descartes, je ne l’aurais pas découvert. Pour être tout à fait honnête, j’avais été interpellé par cet ouvrage en suivant le fil d’une discussion sur internet. Le roman présentait la singularité de commencer à numéroter les pages par la fin pour remonter peur à peu jusqu’à l’origine mystique de la première page.
Pendant près de 700 page, j’ai donc suivi le destin de la horde qui remontait face aux vents contraire. Imaginez ça un instant, une bande de terre d’à peine 5000 kilomètres de large engoncée entre des pôles glacés et inhabitables. A l’aval, la grande cité d’Aberlaas qui à chaque génération forme une poignée de héros. Cette fine équipe doit remonter les terres connues pour découvrir l’origine des vents terribles qui découlent de l’amont. Trente années durant, ils s’obstinent à pied à remonter le courant terrible et souvent mortel qui rase villes et villages. A leur tête le Golgoth, chargé de tracer le chemin, véritable force de la nature dont le courage n’égale que l’orgueil et la détermination. Suivent le traceur, scribe, troubadour, aéromètre, feuleuse et toute une équipe de personnages hors du commun. La 34ème horde découvrira-t-elle l’amont et ses secrets ? Vous le saurez en lisant le livre.
Je voudrais m’attarder un peu sur le style du livre souvent riche et coloré à l’indigestion. Les mots sont parfois vidés de leur sémantique pour que leur syntaxe rythme le texte. C’est parfois déroutant, souvent surprenant et toujours intriguant. Les pages alternent les points de vue des différents narrateurs, les membres de la horde qui ont chacun une personnalité unique et baroque. Quand à la finalité du roman, c’est clairement d’amener le lecteur à réfléchir, à s’élever par la pensée. Malheureusement, à mesure que le livre avance la mystique prend le pas sur la philosophie, à tel point que certains passages s’enfoncent dans l’ésotérisme au détriment du plaisir de la lecture. Comme je suis peu porté sur l’herméneutique, mon esprit d’un naturel paresseux a oblitéré de ma conscience les passages les plus obscurs, mettant hors de ma portée le Graal de la compréhension.
C’est la note de la faim intellectuelle qui conclura donc cette revue. Une frustration de ne pas avoir compris la vraie portée du texte.
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