On parle souvent de ces parisiens qui n’ont jamais admiré leur ville du haut de la tour Eiffel, de ces savoyards n’ayant jamais posé le pied sur un ski, de ces marseillais qui évitent les plages. Trop de facilité, une proximité oppressante, l’égoïsme ordinaire de ne vouloir partager ses trésors avec les nuées méprisables de touristes ou tout simplement l’idée confuse d’avoir le temps pour en profiter demain. Le cliché a probablement la vie dure mais se vérifie trop souvent, on connaît mal l’endroit où l’on vit.
Il me semble que je n’échappe pas à la malédiction. Cela fait plusieurs années que j’ai tissé mon nid sur la toile numérique, mais finalement je connais bien mal Internet. Depuis près de quinze ans que je survole les autoroutes de l’information, à titre personnel ou professionnel, je n’ai jamais pris le temps de m’attarder sur les voies secondaires, de visiter ces innombrables lotissements uniformes de sites préfabriqués où tout un chacun peut raconter sa petite vie au mépris de l’intérêt commun et du bon goût.
Je suis bien mal placé pour jeter une pierre fût-elle virtuelle dans la mare. Dès mes débuts je bricolais déjà un site personnel, « l’antre du cyber Troll », prétexte pour expérimenter les technologies balbutiantes du world wide (wild ?) web. Aujourd’hui encore, j’alimente sporadiquement ce petit espace avec mes élucubrations nostalgiques ou mes revues de lectures inutiles.
De fait, je suis payé pour connaître assez intimement les technologies régissant cette matrice de l’information qui en moins de deux décennies ont dominé nos vies. Et pourtant, j’y découvre encore et toujours des nouveautés. Sous l’emprise de ce paradoxe sucré, j’ai très récemment découvert que les lecteurs acharnés hantaient déjà le net, que des millions de sites personnels évoquaient la littérature et les revues de lectures sont florissantes. Je ne cherche pas à lutter dans cette bataille perdue d’avance, lorsque je vois ces internautes capables d’alimenter quotidiennement leur site avec de nouvelles lectures, des commentaires souvent érudits, pertinents et intéressants. Pour une fois, la jalousie coutumière de mon caractère ne m’a pas chatouillé les neurones de ses acides. Je ne poursuis tout simplement pas le même objectif. Cette tribune intime et publique ne me sert pas à cela. Dans ces lignes je préfère occuper ma plume plutôt que de la laisser mourir d’ennui.
J’ai donc découvert ces commentaires de lecteurs avec intérêt et passion. J’ai pioché dans les multiples forums de nouvelles notions. Notamment celle de P.A.L, il ne s’agit pas d’un système de codage de la vidéo mais plus simplement d’une Pile A Lire. Elle représente la liste des livres qui sommeillent dans les bibliothèques, au pied du lit, sur un coin du bureau attendant d’être déflorés par leur propriétaire.
Je suis bien content d’avoir mis un acronyme sur l’une de mes malédictions. Nommer ses démons, c’est acquérir du pouvoir sur eux, peut-être les vaincre. En effet, ma P.A.L est conséquente. Il y a tous ces livres qui ont suivis mes déménagements car je ne les avais pas lu, et surtout cette maladie compulsive. Lorsque je m’égare dans une librairie avec le but avoué d’acheter ma drogue de cellulose, je ressorts systématiquement avec deux fois plus de livres que prévu. Mes livres s’empilent, prennent la poussière et disparaissent de ma mémoire. Lors des rares rangements de bibliothèque je les redécouvre avec surprise, frustration et un peu de honte. C’est ainsi que dans la modeste collection de 400 titres que j’ai constituée dans mes contrées alpines, j’en dénombre plus d’une cinquantaine que je n’ai jamais ouvert.
Plutôt que de racheter, je me suis contraint à réduire un peu cette pile et c’est l’objet de ma revue du jour.
Le premier livre que j’ai exhumé de mes rayonnages est un grand classique acquis durant mes années collège. L’âge bête m’avait contraint à subir plutôt que d’apprécier ces perles comme le père Goriot ou Eugénie Grandet. Lorsque j’avais découvert l’histoire de Balzac, son penchant pour l’occultisme et ses talents de précurseur dans le fantastique, j’avais remis le couvert en achetant L’envers de l’histoire contemporaine, sur la base de son titre prometteur. Ne découvrant aucune trace d’ésotérisme ou de fantastique, j’avais bien vite refermé et oublié l’ouvrage.
Jusqu’à ce que je redécouvre le titre en classant ma bibliothèque. Devenu adulte, cette fois passionné par les histoires de complot, de cette réalité trompeuse qui n’est qu’une façade pour les activités occultes des maîtres secrets du monde, j’ai une fois de plus accroché sur le titre. J’ai été moins déçu. Le principe est fabuleux et résolument moderne. On découvre bien une conspiration, mais au contraire du postulat de la plupart des théories du complot paranoïaques, l’élite agissante œuvre pour améliorer la vie de ses concitoyens. On découvre au fil des pages l’histoire tourmentée et saisissante des différents protagonistes de cette société secrète. Chaque histoire résonne comme un hommage de l’auteur envers ses œuvres passées. Malgré mon ignorance crasse de la comédie humaine, j’avoue avoir été ébloui par ce point d’orgue. Le roman accuse malheureusement l’âge et la perte du feu sacré du démiurge qui habitait auparavant l’auteur. Le personnage principal est palot et manque de consistance, parfois ses détours de conscience perdent le lecteur dans le désert de l’ennui. Quand a l’intrigue, sa localisation dans l’espace et dans le temps est inconstante et brouillonne, l’auteur se contredit au fil des pages et déroute son auditoire. Bref, le roman apparaît comme un brouillon bâclé plutôt que l’épilogue étincelant d’une œuvre immortelle.
Malgré tout, je ne regrette pas d’avoir retrouvé un peu du talent incontestable d’un maître et l’envie de redécouvrir ses chefs d’œuvre.
Pour ne pas perdre l’ambiance, le deuxième livre que j’ai lu avec la louable idée de diminuer ma pile de lecture se situait dans la même époque. Avec l’espoir de rallumer la flamme du merveilleux, j’ai abordé les Contes fantastiques d’un contemporain et ami de Balzac, le célèbre Théophile Gautier.
Pouah !
Bien mal m’en a pris. La lecture fût une épreuve difficile, à la façon des coureurs d’endurance, c’est l’obstination et le caractère qui m’ont permis d’en venir à bout. Depuis j’éprouve un profond mépris pour ce monsieur Gautier ayant gagné on de sait comment les galons de la postérité. Car si le livre ne mérite pas d’avoir survécu aux siècles, surtout dans ses pages c’est la médiocrité du romancier qui transparaît. J’essaie de ne pas trop m’abaisser pas à cracher trop mon venin sur ce personnage, il ne mérite qu’une indifférence glacée en espérant que l’histoire finira par oublier son nom. Mais c’est très difficile alors me voilà à dire quelques mots pour avertir le lecteur imprudent de ne pas tenter l’expérience.
C’est donc un recueil de nouvelles, la plupart fantastiques, de ce point de vue le titre du livre ne trompe pas. Par contre, j’ai eu beau m’acharner à les lire, je n’en trouve pas une seule pour rattraper l’ensemble. Il faut dire que le thème a de quoi rebuter celui qui recherche le fantastique et le merveilleux, ce sont toutes des histoires d’amour. Je ne suis pas fan du genre, mais passons. L’amour est décrit dans ce qu’il a de plus niais, de plus naïf ou de plus mièvre. Ici, un jeune homme qui meurt car son aimée ne veux pas de lui, là, la reine Cléopâtre est dépeinte comme une midinette en manque de sexe. La plupart du temps, l’intrigue se résumerait en une poignée de lignes, mais le maudit Téophile enchaîne le lecteur aux pages en lui refusant la libération du mot « fin ». Et voui, parce que l’ami Théo, il aime les descriptions, les pages de descriptions, les kilos de description. Il faut dire que le bougre a visiblement de la culture mais qu’il possède également le mauvais goût de l’étaler avec une pédanterie insupportable.
Aller hop, je vais essayer d’oublier ce mauvais goût que je garde en bouche. Je vais certainement mettre le livre au feu, ça lui donnera enfin un intérêt.
Pour conclure après cette expérience de la pile à lire, j’observerais que si certains livres sont restés non lus, c’est peut être aussi pour de bonnes raisons.
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