samedi, mars 22, 2014

Au fond des caves des HLM on entend pourtant l'appel des Muezzins..

Un an est passé depuis ma dernière chronique.
Ce matin, j’ai reçu un pavé de bitume dans ma boite aux lettres. Du bitume noir et crasseux sur lequel quatre lettres à la craie, DAWA. Une invitation à rejoindre l’Islam ? Un sacré bordel ? Un peu de tout ça, mais il s’agit surtout du premier roman de Julien Suaudeau.

L’histoire commence sous le soleil de l’Algérie, à l’époque sombre de la guerre d’indépendance. Le narrateur y vivra une expérience traumatisante qui le fera rentrer en Corse et renouer avec la tradition de la Vendetta.
Les racines plongées dans le passé, le récit déploie ses branches dans le présent, dans l’actualité de ce début d’année 2014.

Le narrateur est sur le point de terminer sa carrière alors qu’il a enfin retrouvé se cible. L’objet de sa vengeance se cache dans les HLM de la cité des 3000 à Aulnay-sous-bois. Les choses ne sont pas simples dans les poudrières des cités et d’autres vengeances s’apprêtent à déchaîner la haine. Il faut faire sauter Paris et rappeler aux énarques que les enfants de la misère sont là.
Dawa nous fera visiter les caves obscures des HLM comme les salons feutrés des ministères. Si la république stigmatise et ne s’occupe plus des cités, elles ont trouvé d’autres anges protecteurs. La sécurité sociale s’est vue remplacée par la protection du grand banditisme, le réconfort du prosélytisme religieux ou les millions du Qatar.
Julien Suaudeau nous dresse un portait sombre et réaliste de ces personnages. Les jeunes qui tentent de survivre alors qu’ils n’ont pas d’avenir ou les intrigues de cours au sommet de l’état. Les méchants ne sont pas forcément ceux que l’on croit, les patrons maffieux tentent de préserver la stabilité, les intégristes ne sont présents qu’à titre d’épouvantails et le Djihad a changé ses manières.
Les histoires des protagonistes s’entrechoquent et font des étincelles. Cela donne une intrigue riche et mouvementée.

Il y a aussi la manière de l’écrire. On devine sous les pages l’exubérance artistique d’un premier roman. A trop vouloir en faire, il en fait justement trop. Les paragraphes sont trop riches d’images, elles ne se savourent plus. Pire, on perd parfois le fil de l’intrigue. On se retrouve à relire les mêmes phrases pour en comprendre le sens. L’antithèse de la littérature de gare, un livre à ne pas lire dans le RER du matin ou le métro bondé. Ne boudons pas trop notre plaisir, beaucoup de phrases font mouche et le roman est une mine de citations et d’expressions.

On ne trouve pas l’habituel avertissement fictionnel « Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite ». Et pour cause, les personnages du livre se divisent en deux catégories. Ceux que l’on nomme sont les protagonistes de la fiction. Et ceux que l’on désigne par leur fonction sont tirés de l’actualité, pire ils semblerait que ces quidams sont aux commandes de notre bonne république. C’est peut-être le principal défaut de ce livre. L’action se déroule avant le vendredi 13 mars 2014. J’écris cette critique une semaine plus tard et je peux affirmer que le 13 mars était un jeudi. Accessoirement, aucun des évènements qui sont racontés dans le livre ne s’est déroulé. Heureusement pour nous.
A trop jouer avec l’actualité et la politique fiction, le livre risque de se démoder bien vite.


En attendant, je suis content d’avoir été le témoin de la naissance d’un écrivain. Il y a trop de talent dans ces phrases pour ne pas penser aux livres à venir.

lundi, mars 04, 2013

Born in Trappes

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Joie de recevoir un livre en échange d’une critique. Il n’empêche qu’avec cette lecture, me voilà muté en banlieues dans ces quartiers pudiquement dits difficiles.
En recevant « Made in Trappes » par Alain Degois, j’avoue que mes sentiments étaient partagés.
L’agacement tout d’abord, car il s’agit d’un livre de plus sur les banieues surmédiatisées. Un coup de projecteur brûlant de plus sur des saltimbanques ravis de se donner en spectacle.
Au final, la nostalgie l’a emporté. Trappes, j’y suis né. J’ai eu la chance de passer un quart de siècle à l’ombre de ses hlm, protégé des hordes barbares par les remparts de la commanderie des chevaliers du temple. J’ai ainsi passé ma jeunesse dans la cité plus cossue du comte de Maurepas.

J’imagine que d’ici quelques décennies, les historiens retiendront que les cités et la violence urbaine ont écrit l’histoire de France du vingt-et-unième siècle. J’éprouve un petit pincement au cœur d’avoir assisté en voisin aux premières heures du drame.

Trappes est donc tristement célèbre, pour ses trafics, pour sa violence, pour son prosélytisme religieux. On ne remerciera jamais autant les médias d’amplifier et de nourrir le phénomène. La bonne ville de Trappes est connue aussi pour ses célébrités. Anelka, Omar Sy, Shy’m, la liste des personnalités est longue comme le bras. Preuve s’il en est que les cités sont capables de produire autre chose que de la racaille.

Alain Degois, dit papy est ainsi connu pour avoir révélé au public le talent de Djamel Debbouze. Beaucoup d’autres ont eu la chance de passer de l’ombre à la lumière grâce à ses ateliers de théâtre. Véritable self- « made in Trappes »-man, Papy aura consacré sa vie à la ville. Alain Degois possède une bonne raison, et surtout une sacrée crédibilité pour écrire un livre et essayer de faire taire les clichés.

Dès l’introduction, le paysage est posé, sincère et authentique. Pas de tromperie sur la marchandise, l’auteur connait son affaire. Le reste narration est rythmée par une dizaine de chapitres, autant d’idées reçues sur la banlieue.

  • Cliché numéro 1 : Les blancs qui vivent dans les cités votent Front national.
  • Cliché numéro 2 : Pour résoudre le problème de la délinquance en banlieue, il faut construire plus de prisons
  • Cliché numéro 3 : le boulot des policiers, ce n’est pas de jouer au basket avec les jeunes
  • Cliché numéro 4 : L’Etat a mis beaucoup d’argent en banlieue et pourtant rien n’a changé. A quoi bon ?
  • Cliché numéro 5 : En banlieue, on tague et on rappe
  • Cliché numéro 6 : Les musulmans veulent islamiser notre pays (en passant par les banlieues)
  • Cliché numéro 7 : Il faut être un beur de banlieue pour percer aujourd’hui au cinéma ou à la télévision
  • Cliché numéro 8 : Le rêve de tous les habitants de la banlieue, n’est-ce pas de la quitter ? 


On pourrait croire tenir entre ses mains un essai de sociologie optimiste et bien pensante. Et bien non, Papy n’est pas un universitaire qui étudie les mœurs des créatures étranges bien à l’abri derrière les grillages du zoo urbain. Il vit dans la ville, c’est un Trappiste pur sang.
Il ne possède certainement pas le recul ou le génie pour suggérer des solutions miracles. Ce livre se veut surtout un témoignage sur l’histoire et le destin d’une ville et de ses habitants.
De la ville campagnarde qui s’embourgeoisait à cultiver et à nourrir Paris, Trappes s’est transformée en ville ouvrière. Elle n’aura loupé un virage dans son destin de ville nouvelle. Après le rêve du pays de la tolérance et du melting-pot, le réveil est difficile pour les habitants de ce ghetto des communes environnantes.
Papy aura vécu cette mutation radicale, une illumination puissante pour son livre. Malheureusement pour moi, l’essai n’est pas transformé.
Là où l’on attend des idées nouvelles, on trouve surtout une autobiographie mâtinée d’orgueil. L’auteur se complait à contempler son passé plutôt qu’à regarder l’avenir.

Pour le coup, Papy enfonce quelques portes ouvertes et brode sur d’autres clichés. A dénoncer sans cesse l’administration Kafkaïenne et la machine politique, il donne le bâton pour se faire battre à ses détracteurs.
Si je devais résumer ce que j’ai compris du livre, les meilleures chances de la banlieue résident dans le courage et l’acharnement d’individus isolés.
Si je n’ai retenu qu’une leçon de mes cours d’histoire, c’est que dans ce nouveau millénaire désenchanté, le temps des héros est révolu...

Alain Degois a eu une vie passionnante, et vécu des temps intéressants mais difficiles. Il dresse un portrait fidèle de la banlieue. En plus l’ouvrage se lit facilement. En bref. Pour celles et ceux qui ne connaissent de la banlieue que l’image relayée par les mass media, ce livre est à lire avant de se faire recruter par la marine...

lundi, janvier 21, 2013

Sous le ciel de faïence ne brillent que les correspondances

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On raconte qu’il n’y a pas de soleil sous la terre, que l’on croise des gars que l’on ne reconnait pas. Bienvenue parmi le Peuple des tunnels.

Astrid Fontaine nous guide dans les couloirs du souterrain pour remonter dans les années folles. Au travers des petites gens qui font la grande histoire, elle nous raconte l’histoire de la compagnie Nord-Sud. L’ère héroïque de la construction du métropolitain.

Il était une fois Goliath, j’ai nommé la Compagnie du chemin de fer Métropolitain de Paris (CMP) qui avait acquis une concession de la ville de Paris pour concevoir une ligne de transports en commun pour la ville.
L’histoire n’aura retenu qu’eux, et les travaux de l’ingénieur Fulgence Bienvenüe.
Mais face à eux se dressait David, la compagnie nord-Sud et l’ingénieur Jean-Baptiste Berlier. La société exploitait deux lignes de métro, notamment la célèbre Montmartre-Montparnasse. Elle a également traversé la Seine, exploit fameux de l’époque.

Cette fois-ci, David a perdu. La fronde aura vécu et la CMP absorbera sa petite sœur pour finalement se voir elle-même nationalisée et devenir la pachydermique Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP).

Il reste cependant des traces de la « Nord-Sud » qui s’offrent à l’œil exercé. Ces lettres NS entremêlée dans le fer forgé ou bien gravées sur la faïence ou encore la rotonde de la gare Saint-Lazare en sont les témoignages bien vivants.

En dehors de cela, pas grand-chose. L’histoire n’est qu’un char sans rétroviseurs. Il fallait bien les talents d’ethnologue d’Astrid Fontaine pour faire revivre la compagnie oubliée. Comment ? Au travers des paperasses soigneusement archivées par la RATP.

On trouve dans ces formulaires et ses matricules l’écho de la vie d’autrefois. Les courriers de retards, les dossiers médicaux, les lettres aux collègues et tant d’autres fragments d’histoires.
C’est l’approche de l’auteur, nous raconter l’histoire de la compagnie en recréant la vie de ses employés par leurs traces administratives.
On n’y trouve que des petites gens et bien des malheurs. Les années folles et insouciantes sont réservées à l’élite. Tandis que sous la terre, le peuple des tunnels souffre. On y parle de la misère et de la faim. Les hommes disparaissent à la guerre, les femmes meurent de l’enfantement. Tandis que l’alcoolisme, la syphilis ou la violence s’occupe des survivants. La comparaison avec l’Assommoir de Zola est flagrante. Sauf qu’il ne s’agit ici plus de fiction ni de roman.

Le livre se termine par une mise en perspective de l’histoire du métro à Paris. Comment cette audace technologique, ce projet fou a pu voir le jour et transformer radicalement la vie des parisiens. Metro-boulot-dodo ont une histoire et au fond des tunnels plus d’un siècle nous regarde.



dimanche, juin 10, 2012

Un oiseau dans la vague


Line up
Tu aimes ce deal, recevoir un livre gratuitement contre la promesse d’une revue de lecture. Ca commence par un message, pour prévenir d’une météo exceptionnelle à venir. Aux premières lueurs de l’aube, te voilà déjà sur le web. Le site est déjà bien rempli. D’autres sont là comme toi à faire leur choix dans les stocks des éditeurs ravi de faire leur promo à peu de frais.
Toi, tu n’aimes pas réfléchir, lire tous ces résumés te fatigue déjà. Alors tu coches quelques ouvrages dans la grande liste et tu te laisse porter par la vague. Tu attends le facteur et sa surprise de papier.
Avec Shangrila de Malcom Knox, la masse critique ne t’as pas déçu.

Après avoir profité de quelques pages de rêve, tu ne sens toujours pas le couteau sous la gorge, la mafia ne t’attend pas devant la porte pour te rappeler ta dette. Personne ne t’oblige à faire cette revue de lecture finalement ?

Et pourtant tu es de retour sur le web le soir venu, pour apporter ta modeste contribution. Romantisme désuet d’un sens de l’honneur passé de mode ? Tu oses à peine te l’avouer mais ce n’est pas tant l’engagement moral qui te pousse à poser quelques lignes qu’une envie étrange de taquiner la plume. Il faut dire que ce livre t’a mis trop de rêves dans la tête. Il faut bien s’épancher quelque part.

Takeoff
Paradoxe de concilier le goût des belles choses et la collection des livres de poche par nécessité financière. Shangrila est un de ses livres qui donnent envie de le lire.
Pour les fétichistes de la chose écrite, l’emballage compte. Dans les rayonnages trop chargés des grandes surfaces dites culturelles (oxymore ou pléonasme ?) la seule chance de l’auteur méconnu est de se faire remarquer par son plumage.
De ce côté le travail de la jeune maison d’édition Asphalte est remarquable. Sélectionner des livres rares et décalés, des nouveaux auteurs plein de promesses, assurer une traduction brillante des textes est sûrement la partie du job la plus importante. Mais la jeune maison d’édition n’a pas oublié qu’il s’agit aussi de fabriquer un bel objet qui suscitera l’envie.
Tu imagines découvrir l’objet en tête de gondole. Une couverture blanche dont la sobriété est déflorée par un bandeau dans le tiers supérieur. Une photo comme un horizon lointain. Avant de plonger dans le texte, cette plage crépusculaire, ces surfeurs à la recherche du swell matinal nous invitent déjà au voyage. Déjà tu meurs d’envie de l’acheter, alors tu l’embarque. Sans lire le résumé au dos du livre, surtout pas, il te gâcherait le plaisir.
Tu découvres sur le rabat de la troisième de couverture une playlist. Quelques morceaux à écouter pour t’accompagner dans la lecture. Ca trainait dans l’air depuis quelques années cette idée de donner une bande son aux errances livresques. Alors tu as tenté l’expérience, et ça t’a bien botté. Surtout que malgré le thème du roman, la liste de lecture évite soigneusement le cliché des Beach Boys.

Bottom-turn 
Asphalte, semble s’être spécialisée dans la traduction d’écrivains inconnus et décalé. Peu de Frenchies au catalogue, mais la liste des auteurs à de quoi rendre claustrophobe la moindre mappemonde. Il ressort peut être un goût prononcé pour l’Argentine. Sauf que le dernier roman de la jeune maison d’édition se consacre au pays des Kangourous.

Ile gigantesque ou continent minuscule, l’Australie fait rêver. Des déserts de l’Outback où les chercheurs d’Opale perdent la tête au luxe des bonnes familles qui paradent à l’opéra de Sydney. Les koalas attendrissants et les Kangourous comme compagnons de route sur les étendues sauvages. Décidément le rêve des aborigènes t’excite l’imagination. Dans les clichés qui se bousculent dans ta tête lorsque l’on évoque la terre australe, la légende du surf s’impose rapidement.
Par contre la littérature australienne, ça t’évoque rien, nada. Tu serais incapable de citer un seul auteur.
Mis-à-part Malcom Knox parce que tu l’as sous les yeux et que tu t’apprêtes à parler de son roman Shangrila.

Roller
Image de plage en couverture, l’Australie. Même ce titre planant de Shangrila t’évoque les horizons perdus de James Hilton. Tu n’avais jamais lu un roman de surf mais tu sens presque l’air iodé. Tu ne peux plus te retenir de plonger dans la grande bleue.

En ressortant de l’eau, tu découvres DK, Dennis Keith pour les rares intimes. Est-ce qu’il t’observe de son banc sur la plage ? Difficile à dire. Avec ses Ray Ban Aviator miroir soudées sur le nez, le quidam impressionne.
DK vit !
Un champion de surf, il parait. Alors, ça doit remonter à loin. Les sixties ou quelque chose comme ça. Depuis, l’athlète des vagues à embrassé la carrière de sportif des canapés, drogué à la malbouffe. Il vit seul avec sa M’man dans un village de retraité. Son corps fatigué n’est que le reflet de son âme ou s’exprime un catalogue imagé des troubles psychiques.
Schizophrène, paranoïaque, bipolaire, compulsif, DK semble inadapté à ce monde de terrien.

Premier acte de cette pièce nautique. Le rideau se lève sur le jour où sa monotone solitude est troublée par une jeune femme. Une Foutue Bi-Ographe qui rentre dans sa vie avec l’espoir masochiste d’en écrire les mémoires. La pauvre en sera pour ses frais, mais elle fera remonter à la mémoire de DK des bulles de souvenirs.
Souvenirs d’une enfance chaotique face à la mer. De la survie dans la misère de Shangrila ou sa mère célibataire et sans argent devait se battre pour élever ses deux garçons.
A l’époque, le surf n’est qu’un passe temps pratiqué en dilettante par monsieur tout le monde. Pour Rodney et Dennis Keith, ce sera une vocation. Les deux enfants découvriront la vie et devenant les pionniers de ce sport nouveau.

Dans le deuxième acte, DK deviendra ce prodige du surf. Les vieilles planches à papa de trois mètres se transformeront progressivement en cure-dents destinés à écrire les plus belles pages de l’âge d’or de la discipline.
La transition de sale gosse en champion, en légende, se fera dans la douleur et ouvrira le troisième acte. Le talent se conjuguera avec un caractère irascible, asocial et sauvage. La gloire à un prix. DK le paiera en s’éloignant du monde des hommes. Malgré la découverte de l’amour, la tragédie se jouera dans les deux derniers actes.

Le reste de l’histoire est saisissant, dramatique, mais tu te garderas d’en dire plus.

Le livre présente une conclusion intéressante. Il aborde la plupart des mystères qui se cachent derrière la légende. Des origines de Dennis Keith à sa déchéance. La houle de son passé qui continue d’alimenter les vagues du présent. Au final peu de révélations définitives, mieux que ça. Les creux et les malentendus de l’histoire lui confèrent une goutte d’immortalité. Sitôt la dernière page tournée, voilà que la légende commence à vivre dans la tête de son lecteur, dans TA tête.
Tube
Depuis que tu as tourné la dernière page, ta tête reste pleine d’images. L’écume, la pureté de l’océan, la magie de la cathédrale verte. Il faut cependant faire un effort. Prendre du recul face au contenu pour parler du contenant. De l’art et de la manière.

Les premières pages se sont révélées salées, frustrantes. DK est le narrateur de sa propre histoire, il faut réussir à rentrer dans sa tête et subir sa souffrance. La narration est hachée et schizophrène. Comme une barrière pour décourager les badauds. Les interruptions de la pensée sont fréquentes, Dennis Keith perd le fil pour mieux sauter du coq à l’âne. De temps à autre il se répète une suite de mots comme un mantra, comme les roues sémantiques d’une gigantesque machine à sous.

Alors ça agace au début de boire la tasse, mais il faut s’accrocher et remonter sur la planche. Les chapitres sont courts et alternent les séquences du passé de DK avec ses rencontres avec sa Foutue Bi-Ographe au présent. La technique est classique mais donne un sacré rythme au texte. On oublie rapidement les anomalies de la pensée du narrateur.
Pour mieux refléter les désordres mentaux du principal protagoniste, le choix du pronom personnel évolue en fonction de la circonstance. DK parle classiquement à la première personne dans le présent, mais il emploie également le « tu ». Au passé, c’est le « tu » mais aussi le « il », celui de la légende.

Pour résumer, malgré ses bizarreries, le texte est habilement écrit. Le compliment vaux aussi pour la traductrice, tant le job devait être complexe.

Cut-Back
Cela fait une semaine que tu as terminé le livre. Mais il traine encore sur ta table de chevet. Tu as commencé a en lire quelque chapitres. Puis au final tu l’as relu entièrement.
Tu ne sais pas si c’est la marque de fabrique d’un bon livre. En tout cas ça t’as bien botté.

dimanche, janvier 29, 2012

2011, le top du pire...

Oyez, oyez internaute blasé ! Bienvenue dans la petite galerie des monstres. N’ayez pas peur, ils sont laids, repoussants, mais ils ne mordent pas. Ils ne sentent pas bon, mais ils sont frais. Je les ai tous ramassés sur le bord de la route durant la triste année passée.

Pour compenser une mémoire défaillante, j’ai pris l’habitude de noter le nom des livres que j’achète. Sitôt lu, je leur donne une note sur cinq points. Avec un point, je cloue au pilori les atrocités qui ne méritent pas l’encre avec lesquels ils sont imprimés. Quand au cénacle des étoilés cinq fois, ils font partie de ces romans desquels je parle avec une larme à l’œil.
Comme j’essaie d’avoir bon gout, la majorité de mes lectures se situe entre trois et quatre étoiles. Sauf pour cette sombre année 2011 où je n’aurais eu ni la quantité ni la qualité.

Petit florilège de mes pires lectures de l’année 2011.

Je commence avec le phénomène médiatico-prétentio-médiocre de l’hiver dernier. Décidément, Stéphane Hessel m’a donné matière à m’indigner.
Déjà j’aurais du me méfier du thème trop accrocheur dans le contexte actuel. Car c’est vrai que notre monde nous donne à foison des raisons de s’indigner. Cruel, difficile, injuste, promis à aller de mal en pis. On croirait presque entendre Caliméro et son « c’est trop inzuste ».
Alors forcément, la vie du bonhomme qui l’a écrit en impose. La lutte contre l’injustice, ça le connait Stéphane Hessel. Malheureusement, un homme exceptionnel ne fait pas nécessairement un bon écrivain et un destin extraordinaire ne donne pas forcément la matière d’un bon livre.

Qu’est-ce donc que ce livre ? Certainement pas un roman, trop court pour être un traité. Et pour un essai, il est raté.
On trouve tout d’abord une biographie mal écrite de l’auteur qui explique maladroitement comment les évènements qu’il a vécu ont alimenté son esprit de résistance. S’ensuit un monologue sur quelques raisons actuelles de s’indigner.

Oui mais, une fois indigné, on fait quoi ? Ben à priori rien, on ne dépasse pas le stade de Caliméro. Parce que le livre, on l’a déjà fini. Il ne coutait pas cher, certes, mais déjà bien trop pour le contenu, creux et mal écrit.

En conclusion, à lire comme un témoignage, mais qui ne mérite certainement pas les deux étoiles que je lui ai attribué.



Ensuite, j’ai lu La muselière de Minette Walters. Pour celui-là j’avais une bonne excuse. Jamais je n’aurais pensé à l’acheter. Une opération commerciale du genre deux livres achetés, le troisième offert me l’a imposé. Bienvenu dans le merveilleux monde de la surconsommation, d’ailleurs il ne faut plus dire livre mais « produit » culturel.
Bref, pour ne pas gâcher les volontés philanthropiques des pontes du marketing, j’ai lu le bouquin.
A première vue c’était un petit polar sans présentations, avec un thème d’une originalité extraordinaire. Une vieille très riche est retrouvée morte chez elle, dans un petit village ou tout le monde se connait. On ajoute un soupçon d’intrigue familiale tarabiscotée, une mise en scène Shakespearienne de la mort, deux trois coups de théâtre, et voilà.
Je ne sais pas si l’auteur se trouvait en panne d’inspiration ou si elle à suivi à la lettre les conseils de « Ecrire un roman pour les nuls ».
Le tout est mal écrit et/ou mal traduit.
Pour résumer ce livre sans grand intérêt je lui donnerais deux étoiles.



Troisième lecture de l’année. On change de stature, on s’incline en marque de respect et on va chercher le tube d’aspirine. C’est peut-être le snobisme qui m’a fait acheter Le crépuscule des idoles de Nietzche. Mais c’est surement le masochisme qui m’a poussé à le lire.
Mes cours de philosophies sont désormais lointains. Et de toutes les façons, je n’y voyais à l’époque qu’une occasion de rattraper mes insomnies nocturnes.
Mis à part quelques maximes populaires et la fin du quidam à l’asile, je ne connaissais donc pas le grand Frédéric Nietzsche.
J’ai du m’accrocher pour le lire et je pense être passé à des lieues de la signification du texte. Il n’empêche qu’à mesure que je tournais les pages mon malaise grandissait. Ce roman ne pouvait avoir été écrit pas quelqu’un de sain d’esprit.
La prétention iconoclaste de mettre à bas les idoles m’attirait. Je m’y suis brûlé les ailes. Comme l’adolescent rebelle qui essaye sa première cigarette j’ai d’abord toussé, puis en m’acharnant, j’ai finis pas avoir envie de vomir.
La dose était trop forte pour moi. Les idoles y sont bien passées, les grecs anciens, la morale, les principes de liberté, la société moderne. Le tout argumenté avec aplomb, arrogance et mépris.
« Le malade est un parasite pour la société. »
Son propos est le plus souvent argumenté avec pertinence et justesse. Difficile pour les esprits simples comme le mien de réfuter le discours. En bref, l’ami Fred ne semble pas très fréquentable.

Pour la profondeur de la réflexion et l’apport du texte à la pensée moderne, je suis obligé de concéder deux étoiles à cet essai nauséabond.



J’ai fini le tube d’aspirine avec Nieztche. Je n’ai plus grand-chose pour guérir de la gueule de bois carabiné que m’a refilé le livre de Peter Mayle.
J’ai cru acheter un polar épicurien, une prière à Dionysos. Un cambriolage ouvre le livre. Pas n’importe quel cambriolage, l’un des arrivistes d’Hollywood retrouve sa cave vidée de ses plus grands crus. Le tout peu après que ledit matamore aie fait publier un reportage sur ladite cave.
L’assurance rechigne à rembourser les pertes surévaluées. Elle embauche donc un détective privé pour retrouver la trace du raisin fermenté, le narrateur.
L’enquête policière est pitoyable et sert tout juste de prétexte à la visite des domaines bordelais et des caves de richissimes collectionneurs.
Je m’attendais à trouver une arnaque, je n’ai compris qu’en fermant le livre que c’était moi qui m’étais fait pigeonner.
Le livre mérite tout juste ses deux étoiles.

Il est rare, pour ne pas dire que je ne donne qu’une étoile à un livre. Généralement, je le fais plus par esprit de vengeance que par l’étude raisonnée des qualités littéraires.
Catherine Millet, en racontant sa vie sexuelle voulait choquer, faire le buzz, faire vendre ? Elle aura réussit sur tous les plans.
Une autobiographie trash et incompréhensible, sans queue ni tête. La précédente phrase est dénuée de jeu de mot. L’architecture du texte m’échappe encore et toujours. Le vocable de la dame oscille entre le plus cru et le plus châtié.
La dame a bâti sa réputation sur la critique d’art et son texte s’en ressent. Beaucoup de mots compliqués pour paraitre, un discours lénifiant pour perdre son auditoire et au final ne rien dire. Ah si, l’auteur alterne avec des termes cliniques ou vulgaires, description de pénétrations sordides en gros plan.
Entre trash et chiant, l’ouvrage mérite bien le pilori auquel je le destine.

Au tour de Pierre Péju de nous emmener faire une traversée de la Diagonale du vide. Difficile de faire titre plus évocateur de la profonde vacuité de l’ouvrage.
J’exagère à peine. J’ai parcouru les quelques centaines de pages à rechercher quelque chose, sans jamais le trouver.
Le narrateur ouvre le récit en décidant de plaquer une vie trop superficielle. Il part se réfugier dans la solitude des gites de grande randonnée pour réfléchir au sens de l’existence. Il rencontrera une étrange marcheuse, une ravissante jeune femme à la recherche de spiritualité. Lancé à sa poursuite, il sera le témoin d’un enlèvement sous le couvert du secret de la raison d’état.
Présentée comme cela, la quatrième de couverture à de quoi attirer le chaland. Et je me suis fait piéger.
Le roman hésite entre des thèmes forts et accrocheurs, la quête du sens de la vie, l’espionnage, l’aventure, et même une histoire d’amour à quatre sous teinté de romantisme gentillet. A force de draguer des sujets hétérogènes, l’histoire n’en traite aucun et se révèle au final inutile.

L’absurde et le loufoque ont révélé des maitres de la littérature. Des génies capables de s’engager et d’aborder des réflexions profondes au travers de l’humour. Douglas Adams, Terry Pratchett font partie des maitres du genre. J’ai cru en apercevant la Dimension des miracles trouver en Robert Sheckley un troisième mousquetaire du genre.
Perdu !
A la manière de ces photographes qui encadrent leurs images d’un liseré noir pour faire ressortir les couleurs, ce livre m’aura donné le sens du contraste. Il faut du talent pour manipuler l’absurde. L’arme est efficace mais dangereuse. Et Robert Sheckley en fait n’importe quoi. Un roman découpé en scénettes loufoques et colorées, des transitions incongru, un récit truffé de réflexions philosophico-stériles.
L’histoire se termine par un retour à la case départ, sans rien de changé dans la vie du narrateur. L’auteur cherche-t-il à s’excuser de nous avoir fait perdre un peu de notre temps ?

Voici pour terminer l’année, la pire du pire de 2011. Un autre de ces livres rares qui me donne envie de cracher mon mépris à la face de l’écrivain. Obscène et pornographique, Crash est pire que cela. James Graham Ballard s’est surpassé en visionnaire malsain.
Anesthésiés par une vitre trop facile et trop routinière, le narrateur et ses comparses ont découvert de nouvelles sensations, un peu par hasard. Au volant de leurs bolides chromés, ils ont dépassé le stade du sadisme et du masochisme. L’accident automobile comme orgasme ultime, mêlant la douleur et la mutilation dans un délire sensuel. Et les descriptions qu’en fait le narrateur ne nous épargne rien, pas le moindre os brisé, la moindre goutte de spermes ou autres liquides corporels.
Derrière les apparences crades et visqueuses, il n’y a finalement rien. Le narrateur est un oisif qui visiblement gagne trop bien sa vie à ne rien faire et à côtoyer des stars. Par le hasard tragique d’un accident automobile il en vient à tuer un autre homme. Dès lors sa vie bascule et il rencontre un club d’accidentés jouisseurs et notamment son mentor.
Et puis...
En fait rien de plus, tout cela s’étale dans les pages à la manière d’une confiture rance. Les critiques voient dans l’œuvre de Ballard une critique visionnaire du devenir de la société. Quarante ans plus tard, la vision et son intérêt m’échappent totalement.

Gageons que 2012 m’inspirera des lectures plus intéressantes.

dimanche, janvier 01, 2012

La science fiction n’est pas morte

Dans ce nouveau millénaire, la science fiction ne fait plus rêver. La communication est devenue numérique et les amitiés virtuelles, la terre à perdu le défi du rendement face aux cultures hydroponiques, la médecine à découvert des myriades de nouvelles maladies. Cause ou conséquence, c’est maintenant la littérature dite fantastique qui trône parmi les littératures alternatives. Soumis à une science sans conscience, nous réfugions notre imaginaire au pays des magiciens et des dragons.

J’ai suivi le mouvement et je ne pensais pas que l’on pouvait trouver encore de la bonne science fiction. J’ai découvert de nouvelles idoles capables de réenchanter le monde, tel que Gaiman, Resnick, Martin, Pratchett, Cook et tant d’autres.

J’ai découvert un peu par hasard, plutôt par désœuvrement qu’il subsiste encore quelques bons artisans, capables de forger de la science fiction ambitieuse. Des écrivains improbables capables de faire rêver par la science dans un monde ou l’imaginaire et le romanesque sont rongés par les arcanes de la complexité scientifique.

J’ai découvert Robert Charles Wilson au travers de Spin. Un véritable virtuose capable de redonner ses lettres de noblesse à un genre que je croyais passé de mode.

Donc Spin, ça parle de quoi ?
Le temps présent du récit se déroule dans approximativement 4 milliards d’années. Ce n’est pas déroutant ou trop exotique car en fait la trame de l’histoire débute de nos jours et un habile jeu de flashbacks nous fait défiler les millions d’années en quelques centaines de pages.

Vous l’aurez compris, l’auteur s’attaque à l’un des thèmes les plus rabâchés de la science fiction, le temps. Avec les centaines de récit traitant du même thème, on aurait cru en avoir fait le tour. Et pourtant Spin réussit à le renouveler.

C’est par une belle nuit d’automne que l’histoire débute. Une belle nuit sans nuages pendant laquelle le narrateur voit disparaitre les étoiles. Si une panique généralisée s’installe, elle est de courte durée car le lendemain voit reparaitre le soleil.
Mis à part la lumière du soleil, il s’avère que la terre est coupée du reste de la galaxie, enveloppée dans un immense cocon. Bien rapidement, les scientifiques découvrent que cette carapace protectrice possède une autre fonction. A l’extérieur de la membrane de « Spin », le temps s’écoule beaucoup plus rapidement.
Une accélération du temps ahurissante, pour une seconde passée sur terre, il se passe plus de trois ans dans le reste de l’univers. Dès lors, la fin du monde devient inévitable, en l’espace de quelques dizaine d’années le soleil s’embrasera pour mettre fin à l’humanité.

C’est dans ce cadre de fin du monde programmée que tient place l’action du roman. Les trois protagonistes vont osciller entre la quête de rédemption, la recherche du pourquoi et des moyens d’exploiter le phénomène. Les relations entre le narrateur et ses deux amis vont rythmer l’histoire.
Il n’est pas simple de traiter du destin de l’humanité mais la trame de l’histoire est brillante. Malgré le postulat de départ et des hypothèses audacieuses le récit garde le cap d’un certain réalisme.
L’écriture est brillante, fluide et par moment cinématographique. On devine presque le budget colossal en effets spéciaux hollywoodiens.
En près de dix cents pages, Robert Charles Wilson m’a réconcilié avec la science fiction dure et Spin vient de rentrer en bonne position dans le panthéon restreint de mes romans préférés.

20h 12, l’heure de la fin du monde…

A l’heure où les plus fatigués se réveillent enfin. Avec une vilaine migraine en maudissant Sylvestre et sa fête trop arrosée. D’autres voient dans la fin de journée les prémisses d’un retour difficile à la vie active.

Il parait que si l’on résumait l’histoire de la terre à une année, l’ère des hommes ne tiendrait même pas sur une journée. D’ailleurs les mayas sont formels, à 20h 12 le réveil sonne et l’humanité disparait.

Nous voilà donc à la dernière minute avant l’apocalypse. Une minute de plus de trois cents jours, ça en laisse du temps pour célébrer ce cadeau précieux qu’on appelle la vie.

Eclatez-vous, profitez, vivez cette année comme la dernière. Car si le monde s’achève vous partirez sans regrets. Mais surtout, si nous sommes encore là le 31 décembre prochain vous pourrez affirmer que vous avez passé une très bonne année…

Et c’est bien tout ce que je vous souhaite !

Le truc aussi d’entamer une nouvelle année est de prendre des bonnes résolutions pour pouvoir les oublier quelques semaines plus tard. Alors, parmi les choses qu’il faudrait que je réussisse cette année :

  • Partir moins tard du boulot
  • Organiser correctement les vacances
  • Reprendre le sport, mais de manière « régulière »
  • Reprendre l’écriture (tiens par exemple, si je publiais ce billet sur mon blog)
  • Dompter mes nerfs et prendre du recul sur mes angoisses et mes colères

Hop, voilà ces bonnes résolutions affichées en place publique. J’expose ainsi ma vie privée, mais surtout je construis le pilori pour me châtier si je ne les respecte pas.

lundi, août 15, 2011

Un oiseau sur les cendres et le sel de Sodome

Ils sont sept.
Le premier se raccroche aux souvenirs d’un monde perdu. Dernier rempart face à la méditerranée, Paris a troqué ses atours de ville lumière pour un port ultramoderne.
Les six autres sont partis en quête d’un futur dans un monde nouveau. Les rives d’une mer que l’on croyait morte hébergent une colonie isolée du monde par un océan étrange et par un désert infranchissable.

Entre les deux, il y a le trafic du sel mauve, la richesse de la colonie et le monopole des Soixante-Quinze. La mystérieuse compagnie totalitaire asservi les derniers vestiges de l’ancien monde par la dépendance tandis qu’elle exploite les colons venus trouver la rédemption dans les mines de sel.

Les récits des sept se complètent et se recoupent. Leurs lettres dessinent le portrait d’une société étrange, condamnée à danser sur les ruines de l’apocalypse. Une société lointaine ? D’aucun tenteront d’y voir un parallèle troublant avec les multinationales qui entendent dresser les gouvernements et les hommes au fouet de leur intérêts privés. De la littérature engagée ? Peut-être, en tout cas derrière les mots se cache une réalité qui donne à réfléchir.

Tandis qu’à Paris, la compagnie des soixante-quinze embauche Phileas Book pour démêler l’écheveau d’une énigme épaisse, dans la colonie le gouverneur vient de mourir laissant ses six courtisans dans l’embarras.

Littérature grecque et contemporaine, douce antinomie à mes yeux. Jamais je n’aurais pensé lire un écrivain grec qui n’aie pas passé avec succès l’épreuve des siècles. Et pourtant, un soupçon d’opportunisme, un zeste de curiosité et une bonne dose de chance m’ont fait revoir mes préjugés.
L’initiative de l’éditeur Ginkgo et la masse critique de Babelio m’ont permis de recevoir et de critiquer le livre de Ioànna Bourazopoùlou, Qu’a-t-elle vu, la femme de Loth ?

Derrière la référence biblique, on trouve un récit ambitieux et engagé. Le style, sans être flamboyant déploie des audaces oniriques qui laissent rêveur. Tout au plus on pourra regretter certaines longueurs ou certains méandres trop hallucinés. Quand à la construction de l’intrigue, elle m’a curieusement fait penser à Usual Suspect tant il faut attendre la dernière page afin de comprendre le tableau et son but.

samedi, juin 18, 2011

Triste bande dessinée pour un un photographe

Triste histoire que celle de l'Espagne lors de la guerre civile.
Triste destin que celui de Robert Capa, réduit en cendres, conclusion logique d'un métier de guerre.
Triste revue de lecture que je m'apprête à rédiger.

Une masse critique dédiée à la bande dessinée m'a permis de découvrir Tristes Cendres de Mikel Begoña et Iñaket. Derrière cela se fraye le hasard et un éditeur alléché par l'idée de se faire de la publicité à peu de frais. Mais les quelques euros gâchés à me faire don d'un exemplaire de cette bande dessinée ne suffiront pas à acheter mon enthousiasme. Un livre en échange d'une critique, soit! Je vais donc faire mon job, avec en arrière plan la culpabilité de cracher un peu dans la soupe.

Catégoriquement et définitivement, je n'ai pas aimé ce livre. La quatrième de couverture m'avait pourtant promis beaucoup :
  • J'imaginais me cultiver sur l'époque sombre de la guerre civile espagnole.
  • Je me faisais une joie de découvrir la vie et les images de Robert Capa, sacré plus grand photojournaliste de guerre.
  • Je vibrais face au destin tragique du couple Capa & Taro.
Il y avait tout ça dans le petit résumé, mais rien de plus dans le livre. Pour tout dire, l'histoire dessinée n'a fait qu'attiser un sentiment puissant de frustration.

Une bande dessinée qui ne raconte pas grand-chose c'est déjà malheureux. Tristes Cendres réussit à faire pire, a rendre l'histoire pénible à lire. L'action est le plus souvent confuse, manque de cohérence et de suivi. On voit bien que les scénaristes sont bien documentés et concernés par une tranche de leur histoire. trop peut être...
Robert Capa souffrait d'une rage de dent. On retrouve donc régulièrement dans le récit le personnage du dentiste chargé de donner une certaine légèreté et de l'humour au milieu d'une histoire trop sombre. Prétendument comique, les gags de ce fil conducteur tombent toujours à plat.

Dans une bande "dessinée", l'aspect majeur est souvent l'image. Je n'ai mais aimé le style mais j'imagine que l'affaire est plus question de goût.
Le trait du premier plan est noir, pas de crayonné ou de demi-teinte. Une ligne ferme mais un aspect gribouillé qui me rebute. Pour le néophyte, en l'occurrence moi, ça ressemble plus aux croquis d'un enfant sur un cahier d'écolier qu'au travail d'un dessinateur sérieux.
L'arrière plan est plus intéressant. En bleu ciel il reste plutôt discret mais donne une vraie profondeur à l'image.
De nombreux dessins sont en fait des hommages aux célèbres clichés du photographe. Une recherche rapide m'a permis d'en identifier quelques-uns mais j'imagine qu'un vrai connaisseur de l'œuvre de Capa en trouvera beaucoup d'autres. C'est probablement le seul intérêt de Tristes Cendres.

Sur la dernière image, en bas de page, on trouve un commentaire curieux "Enfin la fin...". C'était également mon sentiment.

lundi, mai 16, 2011

Il était une fois Neverwhere...

Cher monsieur Gaiman,

J’ai bien peur que votre notoriété ne dresse comme un mur entre nous. Tous vos lecteurs, votre fan club, comme il est de bon ton de l’appeler, vous inonde de courriers, tous uniques et pourtant tous semblables.

Je crains que vous ne puissiez trouver le temps de lire cette lettre. Et pourtant, ma missive ne cherche qu’à vous mettre en garde.

Vous tripotez les mythes et les légendes depuis un petit bout de temps. Les jaloux iraient même jusqu’à prétendre que vous en avez fait votre fond de commerce.
Je ne fais pas partie des envieux et j’apprécie sincèrement votre travail, non, je vous écris aujourd’hui pour vous prévenir. Passe encore que l’on chatouille les barbes blanches des vieux décatis de l’Olympe, ils sont tellement sourds qu’ils n’entendent plus rien. Vous pouvez aussi broder sur les rêveurs éternels, ils sont toujours dans les nuages.
Par contre la mythologie urbaine, c’est du sérieux. A force de mettre en lumière les mythes qui souhaitaient rester dans l’ombre, ils en sont venus à vouloir se venger.
Vous avez réédité récemment Neverwhere, cette pittoresque chronique Londonienne. Et vous en avez fâché plus d’un. Un certain marquis, une connaissance commune, ne décolère pas depuis cet affront.

Résumons donc l’affaire. Avec votre plume si savoureuse, vous avez narré l’histoire de Richard Mayhew. Comment cet habitant terne de la ville moderne et polluée de Londres s’est par hasard retrouvé avec une jeune fille mourante dans les bras. Comment sa vie avait basculé. Devenu un fantôme parmi les vivants, il a été contraint de rejoindre le Londres-d-en-bas. Vous en avez profitez pour nous décrire cette terre de légende, invisible au commun des mortels et pourtant si bien entretenue par l’imaginaire collectif.
Vous ne nous avez rien épargné, le marché flottant, Knight bridge, le monastère des moines noirs et même l’Atlantide. Vous nous avez décrit les plus grandes personnalités qui règnent en maître dans ces domaines.

Votre livre est un véritable guide touristique et c’est bien là le fond du problème. Imaginez donc, les gens commencent à parler aux rats, certains guettent la créature sous les quais de métro ou encore attendent le wagon du compte.
Avec tout ça, nos amis ne peuvent être tranquilles. Il finira par y avoir des accidents. Je connais bien le marquis, j’imagine qu’il a trop parlé un soir de beuverie, que votre imagination a comblé les failles de son récit.
Si encore cela avait été mal écrit, mais non, le tout est raconté avec panache, humour et un sens aigu de la tragédie. Au final vous vous êtes fait pas mal d’ennemis, presque autant que de lecteurs.

Heureusement que vous avez mis tout un océan entre vous et votre ancienne patrie. Pour votre sécurité, c’est mieux ! Chasseur a une dent contre vous. Fort heureusement elle est coincée de ce côté de l’Atlantique par sa vilaine blessure à la hanche qui tarde à guérir.

J’ai oui dire que Dame Porte avait épousé en grandes noces ce freluquet soit disant guerrier le 29 avril de cette année 2011. Ils sont tout à leur bonheur et ne pensent pas à vous chercher querelle. Quand aux autres habitants de la Londres-d-en-bas, ils sont bien trop casaniers pour être réellement dangereux.

Mais faites bien attention à vous. Si jamais l’idée vous prend de revenir dans la perfide Albion, ne traînez pas seul tard le soir dans les ruelles désertes, évitez le métro et surtout, surtout, faites attention dans les quartiers trop anciens.

Je vous connais bien, j’ai lu votre bibliographie dans tous les sens. Je me fais bien du souci pour vous. Les mythes prennent également racine sous le soleil de Californie et ce n’est peut-être pas un hasard si vous résidez dans la cité des Angelins. Alors soyez prudent, il serait regrettable que notre époque fataliste et indifférente perde l’un de ses plus grands conteurs.

Bien à vous,
Un petit chaton qui a perdu ses bottes

jeudi, février 10, 2011

Non !

En recevant mon colis tardif par la poste, j’ai failli dire non. Non, je ne lirais pas ce livre. Non, je n’écrirais pas de chronique.

Une fois de plus, j’avais participé à la masse critique en laissant le hasard guider ma sélection. En découvrant dans le petit carton un exemplaire de Tout le monde vous dira non de Hubert Mansion, je me disais que parfois le hasard fait mal les choses. Décidément non, ce livre n’était pas fait pour moi. La faute en revient comme toujours à la quatrième de couverture, à ce petit bout de texte taillé pour décourager l’acheteur potentiel. Le publicitaire en manque d’inspiration prétendait attirer le pigeon en listant les recettes miracles pour réussir dans le monde impitoyable de la musique et du show business.

« There is no business like Show Business »

D’une part l’étendue de ma culture musicale se cantonne à la soupe servie à toute heure sur les radios pop fm pour meubler entre deux pages de pub. Et mes prétentions artistiques sont régulièrement démenties par les séances de torture que j’inflige à ma pauvre guitare. En bref, percer dans le domaine ne faisait pas partie de mes ambitions.

D’autre part, le genre de livres qui décrit comment faire pour réussir m’a toujours paru suspicieux. L’arnaque réussit surtout à enrichir les éditeurs en soulageant le porte monnaie des plus naïfs et des plus crédules.

Un semblant de conscience bénévolo-professionnelle m’a poussé à faire ma part de travail, à lire ce livre pour en faire une critique, fût-elle assassine.

Et puis j’ai lu, j’ai appris, j’ai compris. Notamment que je m’étais trompé sur ce livre. Nulle recette miracle pour faire fortune, la description juste d’un milieu ou les paillettes brillent trop fort.

Ami lecteur, soit prévenu avant d’ouvrir cet ouvrage. Abandonne tes dernières espérances romantiques. Le poète torturé est bel et bien maudit, mais par le poids du fisc et des vautours qui s’engraissent de son talent.

La rencontre entre l’art et l’argent a renvoyé muses sur le trottoir et les pauvres ont intérêt à enchainer les clients, à vider leurs bourses, quel que soit le sens que l’on donne à cette expression.

Car c’est le thème central de l’ouvrage, entre l’artiste et son public, il y a l’argent qui conditionne leurs rapports.

Un troisième invité que l’on cherche à engraisser, au détriment de l’Art.

Tout d’abord l’artiste, trop complexe, trop humain est simplifié par les promoteurs de son art pour en devenir sa propre caricature. Pour l’enfermer bien sagement dans sa petite case, facilement manipulable et vendable par les gourous du marketing.

Car le monde est trop vaste pour un petit chanteur qui n’a pour lui que la puissance modeste de ses cordes vocales. Pour le faire connaitre à son public, il faut qu’une assemblée d’hommes d’affaire grassouillets le cigare aux lèvres investissent un paquet de billets sans âme. Qui a parlé d’art? Non la musique est une chose sérieuse, un placement financier dont on doit calculer avec minutie le retour sur investissement.

Avec l’arrivée massive de ces flux d’argent, et on l’espère la gloire et le succès à la clef, il faut bétonner les contrats. S’il n’y avait pas déjà trop de monde à gérer la carrière de l’artiste, il faut y ajouter quelques avocats pour faire bonne mesure.

S’il existe une étincelle de talent ou d’opportunité rentable. Le manager, l’éditeur, la maison de disque, l’agent, les avocats sauront bien la faire prendre. Au moins pour illuminer la scène d’un feu de paille. Quand aux artistes, qui par définition échappent à ce monde pragmatique et capitaliste, ils ne peuvent pas comprendre. Entre la misère absolue, et la fortune trop vite faite, il ne semble pas y avoir d’intermédiaire. Les rares élus qui se rapprochent du soleil aveuglant de la gloire ne profitent que pour se brûler les ailes et finir endettés à vie sous les créanciers.

Au milieu de tout ça, le livre écrit par l’un de ses innombrables vampires du show business se lit très bien. Le texte est léger, parsemé d’anecdotes croustillantes et brosse une analyse décomplexée du milieu. J’ai appris beaucoup.

Quel dommage que l’on ne parle si peu de musique...

dimanche, janvier 09, 2011

Un oiseau sous la pluie


Cela fait trop longtemps que je remets cette chronique à plus tard.
Voilà presque un an d’écoulé depuis ma lecture et je n’ai toujours pas évoqué Prière pour la pluie de Dennis Lehane. Il y a certainement une part de paresse intellectuelle ou de procrastination dans l’acte de repousser le travail au lendemain. Mais pas que…

J’ai déjà tellement dit tout le bien que je pensais de l’écrivain Bostonien, que je peine à trouver de nouveaux adjectifs pour décrire l’attraction magnétique qu’exerce son talent. Passé le Ténèbres, prenez moi la main, je pensais avoir trouvé les limites du genre. On m'avait prêté Prières pour la pluie, je décidais donc de le lire avant de le rendre. J'espérais passer un bon moment, mais ne plus être surpris. Et pourtant...
J’ai véritablement retrouvé mon auteur favori avec ce livre, il a sut une fois de plus me surprendre et m'émerveiller. Du coup, je n’ose m’attaquer à une critique de peur de ne pas lui rendre l’hommage qu’il mérite. Surtout qu’il explore à nouveau ses territoires de prédilection, les traumatismes de l’enfance comme moteurs d’une intrigue conjuguée au présent. Les personnages possèdent une telle profondeur qu’ils transcendent la réalité, que nos vies sembles pâles à côté.
Dans ce nouvel opus des aventures de Patrick Kenzie et d’Angela Gennaro, les détectives se trouvent confronté à un psychopathe d’une nouvelle envergure. Il ne s’agit pas d’un vulgaire meurtrier qui torture et découpe ses victimes selon un rituel bien établi. Non, la violence exercée par le quidam est d’ordre psychologique. La vie professionnelle et personnelle, la vie privée, les bonheurs et les espoirs des proies se trouvent anéantis pièce par pièce. Et lorsque la victime, touche enfin le fond, il ne suffit plus qu’une pichenette pour la pousser à mettre fin à ses jours.
Lorsqu’une ancienne cliente de Patrick Kenzie met fin à ses jours, il décide de creuser l’affaire. Dans ce récit on retrouve le trio habituel Patrick, Angie et l’inénarrable Bubba. Malgré l’atrocité de ces crimes sans violence physique, nos trois héros n’ont rien perdu de leur allant de leur verve. Et on se surprend entre rire et larmes à tomber amoureux de l’histoire. A regretter qu’elle se termine.
Bref, un polar noir qui repousse les limites du genre pour lui donner de nouvelles lettres de noblesse.

lundi, novembre 29, 2010

Un oiseau, une plume, une page immaculée et de l’encre qui pleure…

Malgré les quolibets des fâcheux, l’art reste difficile. On parle de talent, mais sans la sueur et le sang de l’artisan, le talent n’est qu’une terre en friche destinée à se perdre dans les brumes de l’oubli. Sans travail, la paresse reprend les dons octroyés par la grâce. On pourrait parler de gâchis.
L’écriture est un art qui réclame de la patience, de la persévérance et surtout un travail acharné. Qui daigne compter les lettres d’un mot, les mots d’une ligne, les lignes dans une page, et finalement les pages ? Certainement pas le lecteur passif qui attend d’être pris par la main, d’oublier justement de compter pages pour se laisser emporter par le récit.
Les muses sont capricieuses et si parfois elles emportent également l’écrivain dans un voyage que l’on nomme l’inspiration, la plupart du temps elles restent muettes tant que l’on ne va pas les chercher. L’écrivain parle alors d’angoisse de la page blanche. Voilà la différence avec l’écrivant qui perd son noble « i » et transforme un métier en simple hobby. L’écrivant que je suis perd patience lorsque les muses ne sont pas à ma porte pour me montrer le chemin. J’en réfère aux mauvaises conseillères du découragement et de la procrastination qui savent se montrer imaginatives dans la vacuité de l’esprit face à la paresse. Puis finalement le temps s’enfuit et m’éloigne plus des muses. L’ambition devient rêve et le rêve une chimère. Finalement, au moment venu de faire le bilan d’une vie, cela fait bien longtemps que la montagne des espoirs adolescents a sombré dans un océan de regrets.
Pour noyer le spleen d’une vie qui se consume jours après jour dans la frustration et le désespoir. L’écrivant cherche ses muses dans les musiques trop fortes, la caresse trompeuse de l’éthanol, dans un projet d’autodestruction méthodique. Il faut croire que l’on tombe facilement amoureux des reflets de l’imagerie tragique et romantique de l’écrivain maudit…
J’ai peur d’être tombé dans ce piège, tombé amoureux du métier de l’écriture plutôt que devenu écrivain à mon tour. Ce n’est pas un reflet dans un miroir que je regarde lorsque je contemple le portait du poète maudit, c’est juste une image d’Epinal. Une image pleine de couleurs, la projection dans un imaginaire fascinant, en bref l’invention brillante d’un écrivain inspiré.
Car à en venir aux fondamentaux, le métier de l’écriture n’est pas si noble qu’on voudrait le faire croire. Il repose sur la manipulation et la tromperie. Tout le talent de l’artiste repose sur le choix des mots. Une chose tout simple vu par l’œil froid du mathématicien, un bagage de vingt-six petites lettres, une poignée de signes de ponctuation et quelques règles à connaitre pour faire fonctionner le tout. L’esprit tourmenté du littéraire devine derrière cette mécanique toute simple une véritable sorcellerie. L’écrivain sait créer la magie à partir de ces symboles limités. Les mots ne sont alors qu’un outil de manipulation pour créer des images dans l’esprit des lecteurs. Il s’agit de mettre ces victimes consentantes dans un état d’esprit voulu, de leur permettre d’élaborer des hypothèses ou des conclusions. Une fois que l’écrivain a amené ses spectateurs dans l’état voulu, il dispose de toutes les cartes pour le surprendre, l’émerveiller et qui sait le convaincre d’acheter ses livres.
La tâche semble presque insurmontable pour l’apprenti sorcier écrivant. Avec le temps, j’ai appris à distinguer deux faces de la même pièce; l’écriture repose tout aussi bien sur le fond que sur la forme. Maîtriser les deux est difficile en soi, mais le vrai défi réside dans la capacité de les dominer au même moment. L’inspiration aide un peu, mais elle souffle d’un côté ou de l’autre.
Lorsque de mes certes années adolescentes, j’avais l’insouciance et l’innocence de croire qu’il n’existe pas de montagne infranchissable. J’étais surtout naïf et prêt à toutes les acrobaties mentales sans jamais me poser la question de la pertinence. Ma muse avait alors un nom, l’envie. Mon imagination vagabondait alors sur des territoires vierges, prête à me faire deviner des milliers d’histoires jamais racontées. L’âge détruit impitoyablement la naïveté, on découvre les schémas et les archétypes communs des bonnes histoires. La sclérose guette l’âme qui comprend qu’il est impossible d’inventer de nouvelles fictions, que tous les territoires ont déjà été explorés par des hommes et des femmes d’un talent inégalable. Il est difficile de parier contre six mille ans d’histoire écrite. A cette époque je me trouvais un talent pour le fond mais une profonde peur face à la forme. L’âge me rattrape jour après jour. J’ai bénéficié de plus de recul, j’ai mûrit. J’ai rempli mon bagage de formes et de tournures, de grammaire et de rhétorique. J’assume beaucoup mieux ce que je peux coucher sur le papier, je n’ai plus peur face à l’acte d’écrire. Encore faut-il trouver encore des histoires à raconter…

La conclusion est amère pour cette petite chronique. Il faut que j’arrête d’écouter des musiques trop tristes et trop fortes, que je range la bouteille de vodka au placard. Il faut surtout que je te confesse à toi patient lecteur que je me suis servi de toi. J’ai saisi l’inspiration au vol pour te parler de l’écriture. Tu commence à comprendre que ce n’était qu’une mise en abyme, un prétexte pour me permettre d’échauffer ma plume et travailler. Merci de ta patience et je compte sur toi pour financer mes premières œuvres ;-)

lundi, novembre 01, 2010

En attendant Godot

J’ai attendu, attendu. Il n’est finalement pas venu.

Lire une pièce c’est souvent ennuyeux. C’est encore pire si la pièce a été conçue expressément pour ça. Je ne ferais pas par contre pas attendre cette critique, elle est passée au dessus de moi, allée trop loin, je ne la rattraperais pas.

Un oiseau perdu

Du sang et du sexe pour vider une étagère trop remplie

Il est temps de vider ma pile de livres à commenter, l’étagère commence à céder. Je vais donc y aller par lot. Votre serviteur, Stakhanov survitaminé dans le petit matin gris et froid s’apprête à vous critiquer non pas un ni deux, ni même trois livres. Non, la présente chronique s’attaque à l’Everest, en face nord et sous la tempête. J’ai face à moi cinq livres, je pars chercher la frontale, le piolet, les crampons et je reviens...

... Me revoilà. Le thème qui relie les cinq ouvrage n’est pas l’alpinisme ni la montagne. Je trouvais juste la métaphore sympa. Et vu que je ferais un mauvais bonimenteur, j’avoue que parmi les livres que je m’apprête à commenter, il y en a quatre qui forment la même saga. Du coup je vous fais un prix de groupe.
Le point commun de ces histoires, c’est une vision de la France médiévale, torturée par les névroses de leurs auteures respectives.
Le sang et la sueur des guerriers pour Mary Gentle et son livre de Cendres, le sexe et les secrets pour Jacqueline Carey et sa marque de Kushiel. Comme quoi littérature écrite par des femmes ne rime pas forcément avec littérature féminine.

On va commencer par se salir un peu les mains avec la guerre. Le livre de Cendres est constitué de quatre romans et nous raconte la destinée de Cendres, jeune capitaine d’une troupe de mercenaires. Le personnage est improbable, faible femme à diriger une bande de brutes machistes, alcooliques et violentes. Ses compétences sur le champ de bataille, tant stratégiques que guerrières, lui assurent pourtant l’autorité naturelle qui manque à son sexe.
Nous sommes à la fin du 15ème siècle et l’Europe occidentale est déchirée par les conflits entre les seigneurs de guerre. Entre le royaume de France et d’Angleterre, le saint Empire Germanique et le compté de Flandre et tant d’autres à l’image du duché de Bourgogne les guerres se déclarent, les alliances et les frontières se déplacent au gré des saisons. L’échiquier régionaliste est complexe et fluctuant, véritable aubaine pour les compagnies de mercenaires, toutes prêtes à se vendre au plus offrant.
C’est dans ce contexte historique, qu’un vénérable universitaire découvre une série de documents relatant la vie de Cendres, mystérieuse femme capitaine dans le moyen âge obscur. Nous découvrons l’histoire de la jeune femme à mesure que l’historien tente de traduire les documents dans un récit moderne. Parallèlement à ses traductions, l’homme essaie de convaincre une éditrice de publier ses travaux.
Nous avons donc deux histoires qui se superposent et finissent par s’entremêler, la traduction des textes médiévaux et les échanges de mails. Rapidement le lecteur perd pied, le récit moyenâgeux semble plus réel que les échanges épistolaires de l’ère moderne. Mise en abyme vertigineuse du travail d’écriture, capable de donner le souffle de vie à des personnages prétendument historiques.
Lentement l’histoire de Cendres dévie de l’histoire officielle, les incohérences se multiplient jusqu’à ce que le récit bascule dans le fantastique. Mécanique quantique et miracles, Schrödinger et Carthaginois s’invitent à la fête. Je n’en dirais pas plus pour ne pas gâcher la surprise du lecteur potentiel.
Pour résumer, j’ai trouvé l’idée de base de cette saga tout simplement géniale, dommage que Mary Gentle ne soit allée un peu trop loin jusqu’à perdre la crédibilité de son histoire. La construction est intéressante et les implications du présent dans le passé rythment le texte, quel tristesse que les échanges ne se soient limités à des transcriptions de mails parfois pénibles à avaler.
Non, je reproche surtout deux gros défauts à cette série de roman. Tout d’abord sa longueur, quatre tomes de plus de six cents pages qui auraient facilement pu maigrir de moitié. Le résultat aurait certainement été plus digeste, sans toutefois sombrer dans le diététique. Ensuite, visiblement l’auteur à voulu donner un souci de crédibilité à son roman historique. La documentation historique est certes louable, mais on se serait passé des litres de sang et de sueur décrits dans les moindres détails de leurs effluves, et je n’ose parler de ces fiers guerriers qui se soulagent dans leurs chausses, encore moins des cas de dysenterie. En bref, le récit est souvent bien crade, trop à mon goût.

Maintenant que je suis sorti de la boue et des guerres médiévales, il est temps de prendre un bon bain, de se faire beau, de se parfumer et de rejoindre les alcôves feutrées en compagnie de Phèdre nò Delauney. Il faut dire que la dame a son prix, que toutes les bourses ne peuvent se l’offrir. En ce qui concerne la saga de Kushiel, j’avoue m’être arrêté au premier tome. Je n’éprouve nul besoin de découvrir la suite.
En effet, Jacqueline Carey nous livre sa vision d’une Europe occidentale alternative. Notre bon pays gaulois s’appelle désormais la terre d’Ange depuis que le Christ ressuscité, suivi de toute sa troupe d’apôtres a décider de s’y arrêter. Il faut dire que la vie du messie à changé quelque peu par rapports aux saintes écritures. Le brave Elua et ses apôtres ont décidé de changer la face du monde par la sensualité.
« Aime comme tu l’entends. » est désormais le crédo du nouveau messie et en ce qui concerne l’acte d’amour, il s’agit d’assurer autant la qualité que la quantité.
Notre jeune héroïne est donc une disciple de Namaah la courtisane, la compagne partageuse et partagée d’Elua le béni. En terre d’Ange, la prostitution est plus qu’une coutume, c’est l’un des piliers de l’état.
La jeune Phèdre vendue à son plus jeune âge à l’une des grandes « maisons » va donc découvrir la vie au travers du prisme de la sensualité. Il n’y a qu’une tare physique qui l’empêche de s’élever dans les plus hautes sphères du plaisir tarifé. Cette tare, une tache dans la paupière de l’œil gauche est la marque de Kushiel, une malédiction en quelque sorte. C’est pourtant cette distinction qui va permettre à un noble intriguant de repérer la jeune femme et de la faire travailler à son propre compte.
Très rapidement la jeune femme devenue objet de convoitise allie les plaisirs charnels et l’espionnage pour le compte de son nouveau maitre. Puis soudain son destin bascule, les trahisons s’enchaînent et les complots font éclore leurs fleurs vénéneuses. Phèdre se trouvera alors propulsée au cœur des intrigues.
Si j’avais découvert ce livre à l’adolescence, peut-être m’aurait-il laissé un meilleur souvenir. Je n’y ai trouvé qu’un prétexte à exciter la concupiscence des jeunes boutonneux. La moindre occasion est bonne pour mettre en scène les prouesses sensuelles de la belle héroïne.
En dehors de ce côté bassement reptilien, les intrigues sont finalement assez simplistes et la destinée du royaume se joue à quelques coups de théâtre peu crédible. Au milieu de tout ça, Phèdre tient immanquablement le rôle de last-women-standing, seule à mesure de dénouer les machinations.
Pour résumer, du sexe assez primaire teinté de masochisme purulent, des intrigues emboitées comme des matriochkas discount et une héroïne omniprésente et indispensable à la bonne marche du monde. Sans oublier la galerie de personnages qui pour se prétendre crédible tient du bottin mondain.
J’en ai vu suffisamment pour ne pas vouloir découvrir la suite.

vendredi, octobre 15, 2010

Un oiseau frigorifié…

Il est des côtes déchiquetées que le géographe reporte consciencieusement sur sa mappemonde mais que pour rien au monde il ne souhaiterait visiter. Grâce à l’Internet et aux satellites le géographe moderne peut mesurer l’arctique sans quitter son douillet bureau parisien.
A première vue, cette critique partage avec les étendues glacées du grand nord un point commun, une blancheur immaculée. Mais, tout comme l’été fait fondre les neiges que l’on croyait éternelles, l’imagination permet de vaincre l’angoisse de cette page trop blanche. Voilà que les premiers mots apparaissent, que la route familière se révèle. Un exercice de style pour introduire un travail de mercenaire de la critique. En guise de hors d’œuvre cette mise en abyme du livre que je m’apprête à commenter, une ballade Au nord du monde, brillamment contée par Marcel Théroux.
Pris une fois de plus dans les filets de la « masse critique », j’ai troqué une autre partie de mon âme, bradant ces quelques lignes en échange d’un livre gratuit. Au moins me voilà tenu par un contrat, un coup de pied pour sortir de ma léthargie et retrouver les touches poussiéreuses de mon clavier.

C’est au final un petit roman que celui que j’ai reçu. Présenté comme une chose toute simple, sans prétentions, pas un joyau littéraire ni de grandes réflexions sur la condition humaine. Juste une petite histoire, et pourtant…
… pourtant le romancier, en véritable alchimiste, a su transformer des taches d’encre inanimées en personnages bien vivants dans ma tête. Depuis, Makepeace Hetfield, la narratrice solitaire ne me quitte plus.
Une véritable héroïne de papier, paradoxe ambulant qui déteste lire mais vénère les livres. Il faut dire que le monde dans lequel vit Makepeace ne laisse guère de place à l’oisiveté des choses écrites. En Sibérie l’enfer vous brûle comme la glace et le froid, près de dix mois par an. Dans ce grand nord on ne regarde pas son prochain comme une promesse d’espoir mais comme une cible qu’il s’agit de garder dans son viseur.
Le monde de Makepeace, a vu la civilisation s’effondrer. Les derniers restants ou devrais-je parler de rebuts de l’humanité semblent s’être réfugiés dans le grand nord et luttent pour survivre. Entre la violence du climat et la violence des hommes, l’espoir semble condamné.
Notre narratrice aura passé des années à tenter de faire régner l’ordre en tant que sheriff, pour finalement se retrouver face aux fantômes, seuls habitants des ruines de son village. Pourtant, les parents de Makepeace étaient venus dans le grand nord en quête du paradis.
Toute une génération, usée par les pièges de la civilisation, partis en masse tels des colons modernes dans le nord de la Sibérie. Ils espéraient renouer avec la vérité d’un retour aux sources. Je ne gâcherais pas ta surprise, oh toi lecteur potentiel...
… globalement, on peut dire que ça s’est trèès mal passé, que le monde s’est effondré autour d’eau. Ce roman ne raconte pas la chute de la civilisation, mais simplement le destin d’un personnage, désabusé par la traversée de l’horreur. La fillette ayant grandi dans le simple et le rustique se mettra à rêver par la promesse de la vie moderne et de la technologie, rêvant de ce monde perdu qu’elle ne connaitra jamais.

Jusqu’au jour ou sur le point de sombrer dans le désespoir, elle verra un avion traverser le ciel. Un avion, symbole de la modernité, véritable étoile filante pour guider ses pas vers un monde meilleur. Ce point de vue original inverse le consensus d’une nostalgie passéiste. Au poète qui rêvait d’un « Là bas, où tout est neuf et tout est sauvage, libre continent sans grillage. » Makepeace lui répondrait que « Y'a des tempêtes et des naufrages. La glace, les diables et les mirages » qu’elle connait et que franchement ça ne vaux pas le coup.
Je me répète, mais j’ai vraiment adoré le personnage principal, son mental de survivante et ça façon de se livrer à cœur ouvert sur son monde et ses sentiments.
« Etrange, à quel point l’homme n’est jamais plus cruel que quand il se bat pour une idée. On se tue depuis Caïn pour savoir qui est le plus proche de Dieu. »
L’autre particularité fascinante de ce livre réside dans sa construction. La narratrice raconte sa vie « Au nord du monde » dans son journal intime, elle vit des moments intenses, pour la plupart atroces, trop difficiles pour être détaillés dans l’instant. Puis, à mesure que d’autres horreurs plus récentes se produisent, elle livre petit à petit son passé.
Ce roman, fût pour moi une surprise, j’avais laissé le hasard de la masse critique choisir pour moi. Une délicieuse surprise, telle une crème glacée dont le parfum persiste longtemps dans le palais.

lundi, août 23, 2010

800 pages plus tard, un crime ou un châtiment ?

Dors sur tes deux oreilles, gentil citoyen, car le crime ne paie pas. Continue de te bercer de l’illusion collective de l’esprit des lois, construction intellectuelle qui protège et rassure. La pression des normes sur le plus grand nombre assure la stabilité de l’édifice complexe de notre société bien plus que tous ces législateurs bedonnants, que tous ces magistrats travestis par leur belle robe noire, bien plus que les basses cours de volaille bleutées.
Bien plus que les forces répressives, ce sont nos propres conditionnements qui nous remettent dans le droit chemin. La thèse du jeune Raskolnikov soutient que seuls les hommes d’exceptions ont cette force d’esprit qui les affranchis des lois des hommes, qui leur permet de considérer l’ignoble comme un simple détail d’une perspective plus grandiose.

Pour les trois du fond qui ne suivent pas, je dois préciser que je m’apprête à commenter le Crime et Châtiment de Fédor Dostoïevski. Ce n’est pas un orgueil démesuré qui me pousse au crime de critiquer un chef d’œuvre accepté comme tel par la postérité. Les lois de l’attraction terrestre me poussent à l’action, la masse des livres à commenter conjuguée à la piètre solidité de ma nouvelle étagère annonce le drame. Une illustration du poids des mots ?

Trêve de digressions, revenons au sujet de cette chronique. Le crime et le châtiment résume avec peu d’originalité le contenu de l’œuvre. Le premier tiers nous présente donc le crime. Voici Raskolnikov, jeune étudiant brillant expulsé de la bonne société par le balai de la misère qui sait si bien nettoyer nos rues et repousser dans le caniveau les moins chanceux. On change nécessairement d’avis sur nos contemporains lorsque que l’on est soumis au froid et à la faim. La condition du narrateur le libère du carcan des lois des hommes et lui offre l’opportunité de vérifier ses théories sur la grandeur d’âme.
Résumons-nous, un crime résulte de la conjonction d’une intention criminelle et de son exécution. Et Raskolnikov le prémédite avec attention son meurtre. Tout d’abord comme un jeu de l’esprit, puis petit à petit comme une potentialité, enfin comme une nécessité. Pour se prouver qu’il fait lui aussi partie de cette élite au dessus des lois et accessoirement pouvoir manger un peu, se chauffer, survivre. Il choisit sa victime avec soin, pour sa richesse, mais aussi pour son caractère. Une prêteuse sur gage acariâtre ne manquera à personne, encore moins à ses débiteurs.

Quelle que fût la pertinence de ses hypothèses, l’histoire montrera à Raskolnikov l'étendue de son erreur. La suite du roman présente donc son châtiment. On s’improvise difficilement criminel et malgré son intense préparation notre meurtrier flanche face à l’imprévu et son expédition frôle le désastre. Il ne récolte rien de son crime, pas d’argent et préfère se débarrasser des quelques objets de valeur transformées en autant d'encombrantes pièces à conviction.
La santé du narrateur vacille à mesure que sa raison sombre et qu’il s’inflige de lui-même son châtiment. Tandis que sa vie semble vouloir prendre un nouveau départ, son comportement devient lunatique et paranoïaque.
Voulant protéger son sombre secret qui lui ruine l’âme il s’affiche comme suspect et même coupable aux yeux de tous.

On vous l’aura dit, le crime de paie pas, notre esprit torturé sait se montrer plus féroce que le plus abject des bourreaux.

Ce livre, malgré son final absurde m’aura prouvé une chose. Le miroir a bien raison de me renvoyer l’image d’un intellectuel snobinard à lunettes. Parce que dit comme ça, la littérature russe du XIX ième siècle, j’aime bien. J’aime bien cette écriture simple, brutale et directe, ce sentiment de pénétrer au plus profond des pensées du narrateur. J’aime bien rester oublier les centaines ou les milliers de pages, porté par le récit. J’aime bien cette description d’une époque qui malgré les apparences ressemble si bien à la notre.

Il parait que Nabokov positionnait Dostoïevski comme une sorte de niveau zéro de la littérature, qu’il fustigeait les comportements schizophrènes de ses héros. Vrai ou pas, moi j’aime bien.